Quatre ans après Indigènes, Rachid Bouchareb revient tailler dans le vif de l’histoire houleuse entre l’Algérie et la France. Présenté à Cannes cette année, Hors-la-loi a fait l’objet d’une importante polémique, et cela à la veille de toute projection. Preuve que Rachid Bouchareb touche ici un sujet sensible, une période jusqu’alors presque totalement absente de nos écrans. En effet, il fait d’Hors-la –loi une grande fresque racontant le destin d’une famille algérienne, petite histoire fortement imbriquée dans la Grande car deux des trois frères joués par Sami Bouajila, Roshdy Zem et Jamel Debbouze s’engagent dans la lutte armée pour l’indépendance de l’Algérie. C’est ce point de vue particulier qui fait toute l’originalité et la spécificité d’Hors-la-loi. Le point de départ du film, l’expropriation de la famille en 1925, illustre bien l’idée qui est de nous placer aux côtés des algériens opprimés et à plusieurs égards dépossédés de leur terre. D’ailleurs, l’image de la terre, concrète et métaphorique à la fois, est récurrente tout au long de l’histoire.
Le film historique en lui-même commence en mai 1945 avec le très controversé massacre de Sétif déclenché par la police et l’armée française lors d’une manifestation algérienne revendiquant l’égalité et s’achève en 1962 dans le métro parisien par la très violente répression d’une manifestation pacifiste. Ainsi, Rachid Bouchareb inscrit son film dans un contexte extrêmement dur et s’attache à montrer les ficelles d’un engrenage qui ne semble pouvoir se résoudre que par le sang. Huit ans après Sétif, les trois frères se retrouvent en métropole dans le bidonville de Nanterre auprès de leur mère. Messaoud revient de la guerre d’Indochine, et l’ainé, Abdelkader, sort de prison avec dans l’idée de mener à bien une lutte armée pour libérer son pays. Messaoud le rejoint et tous deux créent un réseau de militants en banlieue parisienne. La montée en puissance du FLN se dessine alors, dans une lutte sans merci contre le colonisateur. Les provocations se multiplient dans les deux camps, tout comme les exécutions sommaires. Les personnages principaux, Saïd excepté, se révèlent sombres et complexes, de véritables anti-héros envers qui il nous est difficile de nous identifier. Toute leur humanité semble avoir été sacrifiée à leur cause. Les mécanismes qu’ils appliquent sont impitoyables et donner la mort au sein même de leur organisation devient systématique en cas de « trahison », si infime soit-elle. Cela crée une profonde distance entre les personnages et le spectateur qui peut les comprendre, trouver leur cause juste, mais pas excuser leurs méthodes tout comme celles du gouvernement français nous paraissent abjectes. Il faut tout de même reconnaitre que, contrairement à ce que soutenait la polémique, Rachid Bouchareb évite tout manichéisme, toute glorification d’un parti ou de l’autre et fait preuve d’une certaine lucidité en ce qui concerne les actes violents perpétués par la France et le FLN.
Contrastant avec cet univers de violence, les femmes ont un rôle important. En effet, la mère, interprétée par Chafia Boudraa, fait figure de repère, de pilier central. Elle est la conscience du film, sa douleur et ses racines. D’autre part, elles sont les premières victimes de cette violence qui prend le pas sur la vie : Une femme donne la vie, au même moment son mari se prépare à donner la mort.
Intéressant par son sujet et le choix de son point de vue, Hors la loi déçoit cependant par sa mise en scène classique, sans grande originalité. L’ambiance voulue à la façon des films de gangsters et des films noirs est cassée par un décor qui sonne plutôt faux et un scénario excessivement sage et linéaire. Le romanesque est noyé dans les nombreux sauts dans le temps et la trop large période brassée. Perdant de sa dimension cinématographique, le film apparait comme trop scolaire, trop didactique. Ainsi, Hors la loi est une œuvre qui touche plus par le fond que par la forme. Rachid Bouchareb a le mérite de faire entendre un point de vue nouveau sur cette guerre et d’en briser le tabou.