Je me souviens… je me souviens l’avoir vu étant gamin. Je devais avoir alors entre 10 et 15 ans. Et je me souviens que je n’avais pas du tout aimé. Je me souviens avoir vu un film plein de blablas, sans action. En un mot, ennuyeux. Ou plutôt en trois mots : ennuyeux au possible. D’accord… en un mot : chiant. Et je me souviens avoir catalogué ce film dans les nullités que je ne reverrai jamais. Encore heureux que je n’avais pas été au cinéma ! Pourtant je me souviens en avoir entendu beaucoup parler. Je me souviens que la plupart du temps on évoquait un fabuleux face à face. Mais pas un simple face à face entre deux personnages : c’était aussi un face à face entre deux monstres sacrés du cinéma français. Oui mais ça c’était avant. Celui qui dit « depuis il y a eu Krys », je le dézingue lol ! Je plaisante, bien sûr, hein ! Du haut de mes 49 ans bientôt révolus, je vois combien je suis resté dans l’erreur depuis tout ce temps. Au moins 35 ans, si ce n’est pas davantage. Une paille ! J’étais tellement persuadé de mon fondement… je l’avoue. Aussi je plaide coupable. Tout ça parce que je n’étais pas prêt pour ce genre de spectacle, si on peut appeler ça ainsi. En réalité, ce film n’est pas fait pour un public aussi jeune. Aujourd’hui je reconnais que nous avons un superbe face à face. Lino Ventura vs Michel Serrault. Deux styles différents, et c’est un euphémisme. Deux carrières différentes, bien que prestigieuses toutes deux. Deux personnalités différentes, des rôles différents. Si Lino Ventura se trouve dans un rôle assez conventionnel en ce qui le concerne, Michel Serrault est là où on ne l’attendait pas. Cela a donné deux rôles différents. Un face à face flic vs notaire. L’histoire débute un 31 décembre à 21h. Une drôle de date pour une simple convocation. Mais le crime n’attend pas. Deux petites filles sont mortes. Violées et tuées. Ou tuées et violées. Question de point de vue. Un point de vue qui a son importance et dont le mérite revient aux scénaristes de ne pas l’avoir occulté. Au vu des circonstances, il n’est pas étonnant que la journée soit triste, la ville de Cherbourg étant enveloppée par un rideau de pluie incessante qui épaissit la noirceur de la nuit. Le réveillon de la St-Sylvestre n’a jamais été aussi près. Paradoxalement il s’éloigne au gré des questions/réponses, la convocation pour éclaircissements ayant vite fait de se transformer en joute verbale parfaitement rythmée par les dialogues d’un Michel Audiard plus sage qu’à l’accoutumée. L’un est aimable, prévenant, s’excuse presque, tandis que l’autre est sur la défensive, se débat comme une anguille et en devient agressif au gré de quelques sarcasmes particulièrement corrosifs. On apprend que Tango s’écrit comme Paso doble. Le combat est lancé, accompagné des volutes de fumée d’un nombre incroyable de cigarettes : Gitanes vs Pall Mall. Qui va être grillé ? Vous l’avez compris, j’ai enfin saisi ce qui se disait dans le temps. C’est bel et bien un affrontement que se livrent les deux hommes, effectivement dénué d’action. Nous avons donc un film très bavard, mais prenant par le contenu, par l'ambiance lourde mêlant défi et suspicion, et par le contraste que les deux rôles principaux nous offrent. Le huis-clos est un exercice périlleux, tout le monde le sait. Cependant l’intrigue se voit aérée de quelques apparitions notables. On commencera par un excellent Guy Marchand qui au passage apporte un peu d’humour alors que c’est bel et bien lui le plus impulsif. Et puis on a l’entrée en scène d’une Romy Schneider en mode crépusculaire. Mais surtout, on a des personnages auxquels on ne prête pas attention au départ et pourtant… On comprend mieux maintenant pourquoi les inspecteurs de police s’attachent aux menus détails, y compris les plus insignifiants. Un exemple pour étayer cette constatation ? Allez : l’imper, la ceinture qui va avec… Là, perso, j’ai capté ce détail comme étant une info capitale. Mais pas comme je l’entendais. Mais le détail dont je parlais, c’est celui qui va être l’objet du coup de théâtre en fin de film. Le détail qui en apparence n’a rien à voir avec l’affaire à laquelle nous avons été conviés. C’est ce qui rend ce coup de théâtre des plus tonitruants. Encore qu’on pourrait se poser la question : est-ce la même affaire ou en est-ce une autre ? Toujours est-il que l’évolution de cette affaire sordide fait changer d’humeur un commissaire divisionnaire, décrit du même coup comme une girouette, laissant son inspecteur chargé de l’enquête sur les deux crimes seul face à ses responsabilités. Et les spectateurs avec, estomaqués par ce stupéfiant retournement de situation qu’ils n’ont pas vu venir. Un film mené de main de maître par un Claude Miller au sommet de son art. Un film considéré comme étant le meilleur de sa carrière. A juste titre, je pense… Quid de l’adaptation du roman de John Wainwright ? Aucune idée ! En attendant, gare à vous : vous allez vous faire avoir...