Très bon film de Claude Miller (j'indique tout de suite qu'il s'agit d'une adaptation de Brainwash de John Wainwright, et que non, bien sûr, je n'ai pas lu le bouquin - faut pas déconner, la vie est courte, horribilis... mais enfin l'initiative et les dialogues sont signés Michel Audiard, et pour le coup, on ne peut qu'applaudir à la force, la finesse, l'intelligence de tous les échanges (le film n'étant principalement composé que de ces échanges", cela laisse imaginer l'importance d'Audiard dans la réussite de cette Garde à vue)), dont l'objet principal est... la garde à vue, oui ma bonne dame, un soir de Saint-Sylvestre, 31 décembre donc, de Maître Jérôme Charles Emile Martinaud (Michel Serrault), notaire et notable dans cette localité de Cherbourg, interrogé par l'inspecteur Gallien (Lino Ventura) et son adjoint-greffier, Belmont (Guy Marchand). Le première séquence situe très bien les personnages selon leurs caractères respectifs ; Gallien rappelle l'objet de cette garde à vue : deux jeunes filles ont été violées et tuées, et Martinaud, qui a découvert le second corps, passe, comme en un glissendo, du statut de témoin à celui de suspect. Toute la première séquence tourne autour d'une histoire de chien, Tango, qui aurait du accompagner Martinaud selon sa déposition, chien dont pourtant plusieurs témoins nient l'éventuelle présence aux côtés de Martinaud. Ce dernier se moque de l'interrogatoire, indique courtoisement qu'il a autre chose à faire un 31 décembre que de parler "toutous" chez les flics, et suggère que la police veut le coincer pour la renommée et le statut qui sont les siens, autrement dit pour ce qu'il est, davantage que pour ce qu'il a fait (à l'horizon de tout ça, l'idée que la police préfère coincer un riche pour l'image de marque de la noble institution...). Martinaud s'enfonce alors dans une dualité dont il ne sortira jamais : d'une part il rit des flics, mais de manière détournée, fine, décalée, d'autre part il est bien obligé de reconnaître ses erreurs et d'expliquer les contradictions présentes dans sa déposition.
Si bien que tout le film penche tantôt vers l'une ou l'autre branche de l'alternative - c'est là assurément la grande force du film de ne jamais trancher définitivement sur la culpabilité de Martinaud, pas même après le surprenant renversement/bouleversement final : à certains moments, l'on est sûr que Martinaud est innocent, qu'il est victime d'acharnement moral et physique de la part de la police (garde à vue forcée le 31 décembre jusqu'à deux heures du matin que manifeste très bien le film d'une part, agression de la part de Belmont alors que Gallien s'est absenté, coups et blessures et passage à tabac d'autre part), à d'autres, à mesure que Martinaud revient sur ses déclarations contradictoires et avoue à plusieurs reprises s'être trompé, l'on est prêt à le condamner... En somme l'objet de Garde à vue est autant le couple innocence/culpabilité que l'institution policière elle-même, les mécanismes de pouvoir sur laquelle elle est fondée et l'institution judiciaire pour laquelle elle doit travailler. Ce que répète chercher Gallien à plusieurs reprises, c'est une preuve ; mais le fait, la preuve n'arrivent jamais, ils sont toujours fantomatiques, autant fantomatiques que les souvenirs erronés de Martinaud, et d'autant plus fantomatiques que Martinaud joue et se moque de toute cette grande comédie qu'est l'interrogatoire, la grande machine policière et la garde à vue elle-même ("- Antoine, j'sais pas ce qui me retient de lui foutre la bécane dans la gueule, déclare l'adjoint de Gallien, après une boutade de Martinaud sur la précision horaire des informations policières. - Le règlement Belmont, répond illico Gallien, tout simplement le règlement..."). Les dialogues de Garde à vue, brillants, ciselés, se multiplient donc sur cette absence de preuve, d'incontestable ; la recherche de la vérité glisse alors et devient guerre de langage, mots d'esprit, ruses, discours emphatiques, personnels, destinés à convaincre, à séduire, à toucher ; la vérité elle-même se dissout pour laisser place à une longue polémique, un enchevêtrement de blocs rhétoriques et tactiques entre Gallien et Martinaud. Garde à vue, de ce point de vue, constitue, avec Douze hommes en colère, un des plus grands huis clos créés sur le délicat et passionnant problème de la culpabilité d'un homme.
[...] Garde à vue est un film d'orfèvres, aux dialogues adamantins, à la réalisation sobre mais diablement efficace. Le charisme des quatre acteurs principaux est bluffant, et leur interprétation justement récompensée pour Marchand en salaud de flic un peu simplet, et Serrault en notaire ironique et désabusé, (bien que Ventura, "bredouille", me soit apparu encore plus impressionnant). Il n'y a peut-être que la musique (fort peu présente toutefois) qui abaisse le niveau de ce chef-d'oeuvre de huis clos. 17/20
La critique complète sur le Tching's Ciné bien sûr :
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