Dès les premières images d'une Milan grise et métallique sous la neige, d'une villa moderniste des années 30 aux mains de domestiques à l'organisation huilée, d'un repas rituel qui se prépare, d'une table dressée, d'une famille riche se réunissant, de ce que l'on devine déjà derrière les masques, LA référence s'impose : Luca Guadagnino se sent l'audace et l'âme d'un Visconti, incroyable ambition par les temps qui courent, mais ambition assumée. Dressant le portrait presque hors du temps d'une famille en pleine mutation, loin cependant des drames que vivent les héros des Damnés, Amore se déroule comme un opéra baroque un tantinet suranné, dont on attend le dénouement avec ferveur. Le repas d'ouverture donne le la d'une narration toute entière offerte aux sens, la gastronomie y prenant une place primordiale et déterminante. Si l'histoire qu'on nous raconte n'a rien d'extraordinaire, son traitement parfaitement homogène, de la froideur de la maison de famille à la chaleur des hauteurs de San Remo, accompagnant la métamorphose d'une Emma perdant les sens et les retrouvant tout autant, nourrit le film d'une singularité captivante. C'est un "trop" général, "trop" de l'enchaînement des plans, "trop" de la musique, "trop" de la sensualité, un "trop" qui passe le plus souvent et déborde de temps en temps. Même la musique, très présente (et très "Philip Glassienne") y a toute sa place. Evidemment, on aimerait quelquefois dire stop, stop à une scène d'amour trop longue, stop aux associations d'images trop lourdes de sens, stop aux mouvements de caméra trop amples... Mais au final on s'en fiche. L'ensemble passe. Le casting, dominé par une Tilda Swinton grandissime, imposant à chaque image la luminosité de son talent, dans lequel on prend plaisir à revoir Marisa Berenson dans un vrai rôle (elle excelle en bourgeoise italienne), nous renvoie comme le film aux grandes heures d'un cinéma italien à l'aura internationale. Aussi, malgré ses imperfections, Amore marque par une audace récompensée. A ce titre, la dernière scène, telle le final d'un opéra, nous éblouit dans son déferlement d'émotions et de musique, et nous avec Ida (formidable Maria Paiato), les larmes aux yeux.