Un homme, serti d’une couronne, contemple l’étendue d’un paysage sublime. Dans ce regard panoptique, le vieux roi grave la vision d’un monde innocent avant que naisse l’enfant prodigue, Jésus Christ. «El cant dels ocells» (Espagne, 2008) d’Albert Serra s’articule en trois parties : la première où les trois rois mages déambulent à travers des paysages désertiques, la deuxième où Marie et Joseph flâne à Bethléem puis la troisième où les rois mages s’en retournent chez eux avec difficulté et en se contant leurs songes. Au fil de ses trois parties, Serra brosse une cosmogonie chrétienne divisée entre l’innocence du monde et la découverte de son messie. Lorsque les rois mages s’agenouillent aux pieds du Christ dans les bras de Marie, l’éponyme «chant des oiseaux» résonne. Avant cela, les trois pauvres bougres perdus dans l’étendue vivant et étouffant de la Nature traversent des eaux glacées, parcourent des déserts arides et des forêts denses. La nature n’a jamais paru si près du spirituel, ne semble jamais s’être aussi bien constitué comme présence divine. Avant que les trois rois mages, rendus au rang de bonshommes, ne découvrent le Messie chrétien, la nature règne encore en maître. Selon la pensée christique, le monde avant Jésus constituait la préhistoire. Serra étaye indirectement cette pensée religieuse en constituant ce film ainsi, en divisant l’histoire du monde autour de la seule naissance du Christ. C’est à raison ; il est toujours habile de se rappeler que notre ère moderne est fonction de Jésus Christ. Outre cela, «El cant dels ocells» apparaît comme une œuvre fondatrice, pour ne pas dire visionnaire, du cinéma telle qu’il s’annonce dans les prochaines années : minimaliste grâce à l’apport du numérique mais non plus au détriment du sublime et du grandiose. Lieu de tournage repéré par le biais de Google Earth et film tourné avec une caméra numérique, le deuxième long-métrage de Serra, par sa dimension épique économe, rejoint la puissance des récits homériques.