Nuri Bilge Ceylan, l'un des plus grands réalisateurs de son temps, esthète de l'âme humaine et poète du silence, signe son retour avec ce drame familial sombre et crépusculaire, après la grâce absolue de ses Climats (son plus beau film à ce jour). "Les trois singes", primé à Cannes par un Prix de la mise en scène justifiable, même s'il fait parti de ces films très beaux à voir et dont on a honte de dire du mal, reste néanmoins une déception. Les colorations très crues de l'image, aux dominantes verdâtres, empêchent souvent le travail du cadre de s'exposer de manière totalement expressive. L'oeuvre est souvent limitée à un exercice de style, rude tant les ellipses tombent sèchement, à une pensée visuelle et formelle souvent trop cérébrale et sensitive pour pouvoir incarner l'histoire que le cinéaste tente de raconter derrière chaque image. La symbolisation de chaque personnage, jusqu'au titre (chaque membre incarnant l'un des trois singes, refusant de voir, l'autre d'écouter, l'autre de parler), plombe le film dans une abstraction et une perte de repères qui ne lui laissent pour seule évasion que le pouvoir sorcier de l'image, belle quoique moins travaillée qu'à l'accoutumée chez Bilge Ceylan. Chaque visage, façonné comme un paysage lointain, chaque plan, expressif et profond dans sa manière d'utiliser le décor comme un tableau aux multiples lectures, résonne comme autant de mots - souvent absents chez ce cinéaste - . Car c'est bien le silence, ou plutôt le retard du dialogue, qui laisse le film respirer jusque dans ses moindres bruissements. Les âmes, torturées, y frémissent de peur et d'incertitude, et les acteurs, tous impressionnants, incarnent merveilleusement ces êtres presque muets et étrangement inhumains dans leur comportement immobile et inactif. Malgré l'idée de réaliser un film au climat orageux sur un procédé intéressant pour raconter les relations familiales (à travers une maxime japonaise), le cinéaste nous perd assez désagréablement dans les méandres