"Delta" , c'est l'expression crue et déchirante d'un cinéma d'auteur au meilleur de sa forme, la bouleversante litanie d'un cinéaste à son pays, des paysages peints, des cours d'eau apaisés, des îlots en repos, une liaison de famille qu'empêche les secrets et les non-dits, des ondulations de cheveux ou de vêtements dans le vent d'est, l'amour d'un frère à sa soeur sous le soleil froid de Hongrie, l'austérité d'une réalité sociale faite d'habitués alcooliques au bar du quartier, de violeurs et d'agresseurs potentiels, l'érotisme premier des corps, l'importance donnée aux visages, traversés d'émotions et d'expression dans leur apparente passivité, la beauté des flottements et de remous de l'eau, le reflet brillant du soleil, les masses d'herbes, la Nature au premier plan, en harmonie avec des personnages dont le silence est une royauté souveraine, une personnalité imperceptible et d'une terrible souffrance. Il est difficile de parler d'un tel film en donnant un sens à l'écrit ; la forme même d'une critique se voit bien faible et dévoilée quand l'art et l'oeuvre en question prennent le dessus, le pouvoir total puisé dans la force animale des images. On pourrait parler, comme seul point de repères, des ondulations, peut-être. Le cadre est toujours dicté par l'ondulation visuelle (d'une chemise, d'une mêche de cheveux, de l'eau) ou sonore (des sons qui traversent différentes étapes, des musiques en mouvement réduit, etc...). Cela pourrait être le rythme, donc le coeur, du film. Son moteur, sa force pour aborder les thèmes à suivre. La musique, partagée entre l'affreuse variété hongroise des bars (obsédante jusqu'à la fin des jours), et des chants aux influences grégoriennes, à la puissance souterraine et granitique, apportent suivant les situations cette atmosphère pesante, cette fin du monde si proche dans la démission des corps (douleur, maladie, absence de force pour rejeter le viol), jusqu'à un extrait de "La jeune fille et la mort" de Schubert dans le long travellin