A mes yeux, ce Mother est un Memories of Murder mieux dosé. Tout d'abord, facile de constater que les deux long-métrages sont proches : meurtre obscur, erreur judiciaire entraînée par le choix du suspect facile, environnement urbain et pauvre où le trivial et le glauque côtoient le lyrisme et la beauté pure (...). Mais cette fois, le mélange des genres est moins abrupt, et les ruptures de ton moins franches, passent mieux. Cela est je pense dû au fait que si le grotesque des personnages ou des situations censées amener l'humour n'est pas forcément atténué, la caméra ne l'appuie cette fois en rien, signant un passage vers le drame pur qui m'a beaucoup plu. L'aspect thriller, segment dans lequel Mother n'a rien à envier à Memories of Murder, est lui aussi foutrement bien développé dans ce que j’appellerai un labyrinthe-escalier. Labyrinthe car Bong Joon-Ho et son intrigue ne cessent de nous perdre, ou plutôt de nous le faire croire, pour sans en donner l'air nous mener avec assurance vers un dénouement puissant. Escalier parce que ce chemin psychologique et réflexif se fait étape par étape, prenant à chaque pas une signification plus forte, dévoilant avec toujours plus d'insistance la force de cet amour maternel paroxystique, inconditionnel, qui finira quasiment par aliéner son sujet. Une idée qui rappelle à nouveau la propension du cinéma de Bong Joon-Ho à faire pénétrer la monstruosité dans le quotidien. L'obsession du cinéaste à marier trivialité et beauté, dont j'ai déjà parlé plus haut, n'a jamais été déclinée avec tant d'à-propos. Le schéma narratif est donc proprement brillant, structurant une écriture non moins brillante. Puis le visuel n'est pas en reste, marquant pour moi la plus maîtrisée des partitions de Bong Joon-Ho, ici quasiment virtuose. La mise en scène est souvent subjective, sans être participative, et on suit les épreuves endurées par le personnage comme un chien suivrait son maître, à la trace, mais sans pouvoir intervenir. On subit donc de près la spirale dramatique, qui impacte avec violence et conviction. Pour tout cela, Mother est une vraie pépite, surtout à saluer pour le génie de son écriture et tout juste ternie par quelques longueurs. La plus grosse réussite de Bong Joon-Ho à ce jour.