On n'en a pas encore fini avec la guerre, loin de là – demandez plutôt à Platon, judicieusement cité en fin de métrage. Danis Tanović non plus semble-t-il, et tant mieux pourrait-on dire. Il y a dix ans, le cinéaste des Balkans démontrait déjà toute l'absurdité du casse-pipe à travers son formidable "No man's land", plaçant sur un même champ de mines un soldat serbe et un Bosniaque, dans une situation quasi-beckettienne. "Triage" (bizarrement rebaptisé "Eyes of war" dans nos salles obscures ; m'enfin, qui s'étonne encore des lubies des distributeurs français?) n'a pas la puissance et la portée de son précédent opus, d'ailleurs multi-primé, mais n'en atteint pas moins son but avec force. Abandonnant le ton tragi-comique au profit de l'émotion pure, Tanović évoque moins le conflit que le sinistre cortège de traumatismes qui le suit, type Michael Cimino dans "Voyage au bout de l'Enfer". Déportant le Viet-Nam sur le front du Moyen-Orient, le réalisateur, lui-même ancien reporter de guerre, suit les traces de deux photographes partis couvrir les massacres kurdes orchestrés par Saddam Hussein en 1988, notamment dans un camp de fortune où l'on soigne – ou achève – les blessés les plus graves. L'action proprement dite n'occupe que la première demi-heure du film, dure et rêche, les personnages n'en sont que des témoins (eyes of war), ils l'enregistrent mais ne peuvent rien n'y changer ; une manière d'évacuer d'entrée de jeu toute notion d'héroïsme. On l'aura compris, l'histoire est surtout humaine, avec son lot de petits stéréotypes dans lesquels "Triage", dès ses premières minutes, menace de tomber. Mark (Colin Farrel, vingt kilos en moins, le talent en plus) est irlandais et casse-cou, son ami (Jamie Sives) plus mesuré et bientôt père de famille ; deux amis antagonistes en temps de guerre, la tête brûlée et le type raisonnable, un ressort plutôt canonique du genre – il n'y a qu'à voir le récent" Démineurs". Leur relation manque de corps et de nouveauté, mais "Triage", plein de ressources, aura tout loisir de corriger ce petit travers. Cimino nous montrait d'abord l'horreur de la boucherie, et en auscultait ensuite les conséquences sur l'humain, sur son penchant morbide à ressasser et à reproduire le Mal (la ''roulette russe'' de Chris Walken monstrueusement dupliquée). L'approche de Tanović est différente et, pour tout dire, assez captivante...
(la suite de la critique sur mon blog : http://mon-humble-avis.blogs.allocine.fr/)