Gus van Sant signe une œuvre artificielle, donc en parfaite adéquation avec son héroïne : la démarche adoptée sonne creux, l’aspect faux documentaire n’est guère crédible, et pourtant le film fonctionne, justement parce qu’il a pour fonction de capter une image. La 3D résulte alors de la superposition des écrans, comme dans cette courte scène où l’enfant filmé par sa famille se projette sur la télévision placée derrière elle, dans une infinité de reflets. Mais le corps, lui, demeure plat. Curieusement, l’image de Suzanne ne se fait jamais corps et, malgré une sexualité débridée, se conçoit exclusivement en 2D, comme résultat du photomaton. Sa vie est hors-champ, elle n’existe pas. Sa mort, d’ailleurs, la place sous l’écran de glace, là où elle a toujours été sans le savoir, dans l’artificialité la plus pure la plus totale, et que nous, spectateurs, alimentons. Figure démoniaque qui jouit des corps qu’elle investit par son charme et son potentiel de séduction – séduire signifiant dévier, écarter – Kidman resplendit dans ce rôle de poupée sans cervelle dont la beauté figée sera à jamais conservée dans la glace. Comme dans l’image engendrée par la télévision. La musique envoûtante de Danny Elfman enveloppe l’ensemble dans une rêverie brouillée, nous avons l’impression d’être dans la tête de l’héroïne où se mêlent et s’emmêlent les voix de la réalité et de la fiction. Prête à tout pour ne rien vivre. De l’autre côté de l’écran, la jeunesse désabusée, victime en quelque sorte de ce leurre existentiel, gavée des couleurs et des mensonges du monde adulte. Ils sont des corps 3D qui errent et rêvent, jouissent de la vie, en ressentent les premières désillusions. Car s’il est un type que Gus van Sant sait filmer, c’est l’adolescent.