Puisqu’il est d’usage, cinquante ans après l’instant qui immortalisa Armstrong, de fantasmer sur des aventures spatiales au point mort, il est aussi celui du spectateur de subir ce qu’on lui impose de plus en plus souvent comme du prétendu authentique : Interstellar, Seul sur Mars et Gravity font partie de cette vague néoréaliste créative mais qui tombe à côté de la plaque de Pioneer. First Man a le problème inverse : sacrifiant le spectacle, il se propose de biographer le premier homme sur la Lune, c’est-à-dire de se fonder sur la trinité toute simple qui le guida : son environnement, son entraînement et sa famille.
Alors le montage les assemble gaiment, prenant le temps d’explorer la décennie 1960 sous un angle souvent pensé comme une piqûre de rappel : Kennedy, la Guerre froide, la course à la Lune, la désillusion que la NASA provoqua en face des multiples victoires russes, la révolution sociale que l’inanité du projet Apollo alimenta à son échelle… Yep, Chazelle a l’immense mérite de bien nous remettre une chose en tête : le premier homme, il reste le premier, mais il ne reste pas un homme.
Chargé de remédier à cette tare de l’idéalisation historique : Ryan Gosling, alias Neil Armstrong, et sa présence impassible, qui sur le long terme se démarque tandis que son personnage sombre dans les responsabilités. Armstrong était un père de famille hanté, ce que le film nous fera comprendre avec trop d’insistance entre les plans sur les moniteurs de Houston et les sandwichs à moitié mâchés ; on croirait que Chazelle a eu peur de ne pas pouvoir maintenir l’ambiance sans se concentrer sur des broutilles (alors que le ciel entier lui tendait les bras), si bien que le côté famille qui est tellement mis en avant se retourne un peu contre lui.
Le réalisateur est prompt à s’atteler ensuite à la pression qui pesa sur les astronautes, mais il le fait sous forme de liste : des évènements historiques qui s’égrènent sans impact, des enquêtes auxquelles seul un accessoiriste féru d’épais classeurs, disséminés un peu partout, nous aide à croire. Cette embrouille scénaristique médiocrement démêlée gagne en consistance avec l’addition de la dimension 68 et la précision de Gosling, mais, en échange, ça devient juste son film à lui – on repensera à des personnages secondaires aussi utiles que des pots de fleurs avec une pensée attendrie pour la bonne intention ; Claire Foy est marquante mais son sourire un peu crispé. Souvent.
Chazelle n’est pas à la hauteur de son sujet : il était un peu dans la Lune – ce qui aurait pu l’aider, mais sa tâche était grande et il n’aurait dû laisser aucune raison au spectateur de repenser à Ron Howard avec l’idée que ceci ou cela était mieux chez ce dernier. Toutefois, il lui reste un atout : comme je le disais en intro, il se démarque du néoréalisme spatial actuel et cela lui donne l’avantage sur des terrains très cinématographiques.
Il est un peu dépassé, en 2019, de s’extasier sur des pièges faciles dans lesquels il ne tombe pas (pas de son dans l’espace, pas de nuages en altitude), mais d’autres sont évités qui sont diantrement discrets, osés jusqu’à être frustrants, comme les casques opaques ou les vols claustrophiles (les films dans le ciel ont des raisons évidentes de ne pas enfermer les caméras dans les boîtes de conserves habitées qu’on y envoyait, alors qu’il y a tellement d’espace à mettre en images).
De façon générale, la photo ne cherche pas à produire de l’extraordinaire, puisque son thème l’est au départ, lui confèrant un certain charme. Il n’y aura pas de crescendo ou de catharsis, à peine une fin, mais il y aura les alarmes (émises par un de ces ordinateurs qui étaient dépassés avant l’Homme) qui paraîtront si terre-à-terre devant le sol lunaire et bipperont en hommage à des déchirures humaines enfin dotées de tout leur sens.
Chazelle arrive de justesse (mais aussi avec) à nous remettre dans cette époque qui réalisait sûrement mieux que nous ce que cela signifie vraiment d’alunir, aussi bien technologiquement que politiquement ou socialement. Il s’en faut de peu, mais il arrive à nous convaincre que l’humanité, dans les petites échelles que le cinéma vient gratouiller ici, a vraiment donné tout ce qu’elle avait et accompli quelque chose d’immense. C’est un petit pas pour le cinéma, mais un grand pas pour le genre.
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