Film d’ouverture à la Mostra de Venise 2018, ‘’First Man : le premier homme sur la lune’’ avait tout du film événement. Marquant le retour du désormais très tendance Damien Chazelle (réalisateur de l’excellent ‘’Whiplash’’ en 2014 et du gros succès ‘’La La Land’’ en 2016), avec pour star l’encore plus tendance Ryan Gosling, ‘’First Man’’ nous gratifie par ailleurs d’un sujet intriguant : la vie de Neil Armstrong dans les années 60. Une décennie clé dans la vie du plus célèbre astronaute de l’histoire puisque Karen Armstrong, sa fille meurt en 1962 et qu’en 1969, Neil est le premier homme à marcher sur la lune. Tout semblait bien partie pour que ce film prenne une dimension hors du commun, à l’image de son sujet. Mais il est temps de redescendre sur terre : ‘’First Man’’ n’est rien de plus qu’un honnête biopic académique, ce qui rend l’emballement critique et public pour le film très étrange.
Le cinéma classique, quand il est manié par des cinéaste talentieux peut offrir des choses magnifiques : quand par exemple Clint Eastwood ou Steven Spielberg s’attelle à un sujet, on a souvent une impression de nouveauté. Car l’étiquette de ‘’classique’’ n’empêche pas l’innovation (au contraire, le réalisateur se sert des codes déjà existant pour mieux les dépasser). Mais le cinéma classique a aussi un travers très commun : c’est l’académisme. Cette impression d’être devant un film réalisé par un bon élève, soucieux de bien faire les choses (et de les faire proprement) guette ce genre de cinéma. Car cette volonté de bien faire va souvent de pair avec une absence de prise de risque et un recours immédiat et facile à ce qu’on appelle les clichés. Et bien, ‘’First Man’’ est précisément l’incarnation du biopic académique comme les Américains (pas seulement eux d’ailleurs) en font depuis l’invention du cinéma. Le scénario est en grande partie responsable de cet académisme. Ce qui d’abord fige et glace le film, c’est l’absolue fidélité à la réalité. A part deux ou trois entorses aux faits réels, Damien Chazelle reconstitue avec minutie (c’est pourquoi c’est un bon élève historien) les événements de la vie d’Armstrong et de la conquête spatiale. On a les dates, les personnages, les situation etc. Du coup, cela fait de ‘’First Man’’ un film guère surprenant. Un film d’autant plus peu surprenant que pour aborder ce morceau d’histoire, Chazelle a coché toutes les cases propre au film biographique. Il y a en gros dans le film deux types de scènes : les missions d’Armstrong dans l’espace et sa vie conjugale et sa relation avec son entourage. Mais Dieu que tout cela est vu et revu ! Du côté des séquences spatiales, Chazelle a recours à des effets de mise en scène trop systématiques et répétitifs. Le réalisateur a en tout et pour tout trois valeurs de plan : plan resserré sur le visage de Ryan Gosling, plan resserré sur le tableau de bord et plan resserré sur une partie extérieure du vaisseau. Le tout est bien entendu ultra-tremblotant. On comprend ce que Chazelle a voulu faire avec ces scènes : le film étant collé à Armstrong, ces scènes spatiales se devaient d’être à l’échelle du personnage, d’où l’absence de plan large spectaculaire. Mais cela a une conséquence : restreindre considérablement l’expérience vécue par le spectateur. Damien Chazelle agrandit légèrement le champs de la caméra à la fin du film, quand on arrive sur la lune, mais sinon, on ne peut pas dire qu’on soit devant une vision de l’espace très planante. Et c’est en plus lassant, la caméra étant atteinte du syndrome de Parkinson. Concernant les scènes terrestres, là encore, tout semble déjà avoir été rabâché. L’enjeu principal du film, c’est-à-dire les problèmes familiaux d’un homme entièrement dévoué à sa mission a déjà été ressassé des centaines de fois. C’est d’ailleurs l’un des ressorts les plus utilisé dans ce genre cinématographique qu’est le biopic. Si par exemple on revient à Clint Eastwood, son plus célèbre biopic, ‘’American Sniper’’ (2015) utilisait la même dramaturgie. Le personnage était tiraillé entre sa ‘’glorieuse’’ mission et son incapacité à communiquer avec sa famille. C’est un exemple parmi tant d’autres. A côté de cela, ‘’First Man’’ est constitué aussi de deux autres éléments. Il y a comme premier élément une critique archi-rebattue d’une Amérique, prête-à-tout pour dépasser l’Union Soviétique dans ce qu’on a appelé la course à l’espace. Prêt à tout, quitte à y laisser passer des hommes. En même temps, Chazelle reste extrêmement prudent car il ne va pas à fond dans la critique et à part la scène de ‘’l’homme blanc va sur la lune’’, la satire reste très superficielle. Elle l’est encore plus quand finalement tout le monde trouve formidable qu’un homme ait pu poser le pied sur la lune. Enfin, il y a dans le film un portrait d’Armstrong. Une nouvelle fois, pas de réelle prise de risque. Déjà au niveau du casting. L’homme semblait taciturne, dans une sorte de deuil perpétuel après la mort de sa fille ? Et bien on va prendre Ryan Gosling, spécialiste dès qu’il s’agit d’arborer un visage impassible, quoique marqué par une tristesse spectrale. La tristesse de l’homme semble expliquer le caractère trompe-la-mort de Neil Armstrong. Cela revient plusieurs fois dans le film : le protagoniste ne semble pas craindre la mort, qui pourtant le guette à tout moment. Et si on a déjà vu cela (des hommes qui dans leur métier risque à tout moment de frôler la mort et qui doivent faire face aux inquiétudes de leur famille ? C’est ‘’Rush’’ de Ron Howard, sorti en 2013), l’idée d’un homme qui en définitif ne craint plus la mort parce qu’il l’a déjà rencontré tant de fois est vraiment belle. Et magnifique quand on comprend que cette lune est pour Armstrong le moyen de faire son deuil en offrant l’un des plus beaux tombeaux qui soit à sa fille : un immense cratère sur la surface de la lune.
En effet, une scène superbe (car c’est la seule que Chazelle a inventé de toute pièce) montre Armstrong jeter le collier de sa fille défunte au fond d’un critère. Comme si Armstrong abandonnait définitivement ses fantômes, ces derniers ayant rejoint enfin le ciel (ou en l’occurrence, la lune).
Ainsi, le retour sur terre est pour Armstrong un retour à la vie. Et le fait qu’Armstrong ne soit jamais retourné dans l’espace après cela peut être vu comme un signe : un signe de retour à la vie pour cet homme qui (du moins dans le film) n’avait jamais cessé de fréquenter la mort. C’est cet aspect mortifère qui sauve en partie le film. Mais cet aspect est aussi beaucoup trop disséminé dans ce long film (2h 21).
Pourquoi aller sur la lune ? Plusieurs réponses peuvent être données. Celle trouvée par les scénaristes, peu crédible a toutefois le mérite d’être formidablement émouvante. Armstrong face au fantôme de sa fille se devait de lui trouver une sépulture digne de ce nom. C’est chose faite : le film nous laisse penser que symboliquement, la petite Karen repose en paix sur la lune. Et que Armstrong a pu terminer sa vie libérée du deuil causé par la mort de sa fille. Seulement… et bien seulement, ceci n’est qu’un seul aspect du film. Et tout le reste est superficiel, cliché et bancal. Comment peut-on faire un film pareil quand on sait qu’une œuvre aussi gigantesque (et pour le coup, constamment surprenante) que ‘’L’étoffe des héros’’ (Philip Kaufman, 1983) existe ? Honnêtement, à part le dernier segment du film, qui pour le coup est très fort en émotion, il n’y a pas de quoi crier au chef-d’oeuvre. Ni même au bon film.