Après «La la land» dont je partageais peu l’enthousiasme général, j’étais impatient de découvrir « First man - Le Premier Homme sur La Lune ». C’est simple : tout ce qui concerne l’espace, la Conquête spatiale plus précisément, je suis preneur. Et encore plus, si on illustre enfin cette épopée avec en amont ce qui a conduit au « bond de géant ». Et c’est important. On ne peut pas comprendre le projet Apollo sans passer par le projet Gemini ; et je salue Damien Chazelle de ne pas avoir occulté trop rapidement cette période. D’aucuns reprocheront au film sa lenteur ou sa longueur et d’étirer le mal être de Neil Armstrong. D’aucuns pensaient voir plus de scènes dans l’espace. Eh, non, les missions d’un astronaute sont majoritairement sur Terre ! Il était important de ne pas négliger cet aspect. D’aucuns ajouteront « on connaît la fin ». Et alors ? N’est-ce pas le propre des biopic ? Des faits divers ? Des évènements historiques ? On connaît la fin mais pour autant en connaît-on le cheminement qui a conduit à cette fin ? Il y a toujours des anfractuosités non explorées. Et puis la force d’un metteur en scène est d’arriver à générer de l’intensité, et la matière première qu’est la Conquête de l’Espace est suffisamment intense pour éviter de romancer ou d’exagérer les faits. C’est ce à quoi s’est appliqué Damien Chazelle en s’engageant, avec le biographe de Neil Armstrong, à respecter scrupuleusement son itinéraire. Peu importe que le caractère de Neill Armstrong soit décevant, c’est affaire de subjectivité ; ne peut-on accepter qu’il soit un homme ordinaire ? Un homme ordinaire avec un parcours extraordinaire ? Faut-il être extraordinaire pour accomplir un parcours extraordinaire ? C’est ce qui fait le sel d’une vie. Le sel de ce récit. Lui-même ne se voyait certainement pas rentrer dans l’Histoire en étant le premier homme à marcher sur la Lune. Entre parenthèse, ceux qui ont eu le privilège de fouler le sol lunaire (12) et ceux qui n’ont jamais mis les pieds restent sans aucune discussion des parcours exceptionnels. Force est de constater que ce parcours scrupuleusement respecté demeure et demeurera indéniablement exceptionnel. Et la matière première qu’est la Conquête spatiale est à elle seule exceptionnelle ! Et d’autant plus exceptionnel que ce sont les années 60. En avril 1961, Gagarine est le premier homme à effectuer un vol dans l’Espace. Un peu plus d’un an après, le président John Fitzgerald Kennedy déclare : « Nous choisissons d’aller sur la Lune ». Ce n’est pas une phrase lancée comme une bravade et dont les convives se sentent obligés de relever le pari. Ce discours qui paraît insensé va pousser des hommes à réaliser l'insensé. Comme le dit si bien Neil Armstrong lors d’une cérémonie à Washington à un politicard sceptique sur ce projet fou de la Conquête spatiale : « Ca ne fait que 60 ans que l’Homme vole ». 60 ans ! Qu’est-ce que c’est à l’échelle de notre humanité ? Et l’on demande à des héros d’accomplir l’impossible rapidement pour justifier des dépenses jugées douteuses. Depuis que l’Homme est apparu, il a toujours vu la Lune. De l’Homme préhistorique à celui des années 60. Et là soudainement, un président U.S se donne la décennie pour valider son discours. Et d’autres hommes en costard se permettent de juger le temps trop long, trop couteux ! Les soviétiques envoient des hommes dans l’espace dans des vaisseaux brinquebalants. La Conquête de l’Espace se meut en Course à l’Espace. Nous sommes en pleine Guerre Froide. C’est à celui qui aura la plus grande… fusée, la plus grande épopée (The spacewalker) ! Des hommes et des femmes (Les Figures de l’ombre) sont mobilisés. Cela crée des énergies qui se dédoublent. Tout le potentiel mathématique, physique voire quantique s’oblige à se dépasser pour sortir, pondre, exprimer des équations qui permettront de bâtir des vaisseaux, produire des kilomètres de fils électriques, des capteurs ; pour permettre à l’Homme de se confronter à l’hostilité de l’Espace dans les meilleures conditions et dans des temps records. Ce défi contraint l’Homme à se dépasser. C’est un mélange d’incertitudes et de logiques. Pour valider les théories, d’autres hommes sont nécessaires. Des hommes aguerris, dotés d’un sang-froid inébranlable ; des hommes-cobayes, scientifiques et casse-cou (L’Etoffe des Héros) qui doivent intégrer la mort dans leur pratique. Il faut être dénué d’égocentrisme, de culte de la personnalité ; des hommes empreints d’humilité, des hommes dévoués avec un sens inné du sacrifice ! Des hommes qui acceptent la règle du jeu. Ces hommes (et ces femmes plus tard) prêtent leurs noms à ce défi qu’est la compréhension de l’Univers dont la Terre fait partie. Neil Armstrong est de ces hommes-là. Modeste, réservé, passionné, cassant, pudique. impassible. Un être ordinaire. C’est sûr, dit comme ça, pourquoi lui consacrer un film ? D’accord, il était le premier homme à marcher sur la Lune, et alors ? Damien Chazelle nous peint le portrait d’un homme à la destinée extraordinaire. Je le savais taciturne, réservé, peu enclin à parler aux médias. Il aurait même intenté un procès à son coiffeur parce que ce dernier en aurait profité pour vendre une de ses mèches ! Par contre, j’ignorais qu’il avait perdu sa petite fille. Damien Chazelle m’apprend que cette douleur le conduit à postuler au projet Gemini pour devenir astronaute. Il semblerait que cette douleur qu'il intériorise tout au long du récit, tout au long de son parcours est un deuil qui s’éternise. Le réalisateur paraît me dire que seul le danger inhérent à la Conquête spatiale mettra fin à ce deuil. Il est évident qu’en s’engageant à la NASA, Neil Armstrong n’est pas sûr, voire loin d’imaginer, qu’il marchera sur la Lune et encore moins être le premier homme à le faire. S’engager dans l’aventure spatiale, c’est avant tout s’engager dans l’incertitude d’un projet risqué, encore inimaginable au moment de la naissance de sa petite fille et de fuir un entourage professionnel qui doute de lui au point de lui promettre un avenir le clouant dans ce passé douloureux. S’engager dans cette aventure extrêmement risquée, c’est affronter la mort, la mort de sa petite fille. La mort, il connaît. Dans sa jeunesse, pilote de chasse, il a été l’un des seuls survivants lors d’une mission durant la Guerre de Corée après s’être extrait de son avion. Sa femme (Claire Foy) nous dit qu’il fut un temps abonné à des enterrements dans sa précédente profession. C’est un homme qui ne sourit pas avec la mort. Il s’accommode de sa présence, mais en aucun cas, il s’amusera avec elle comme certains. Il affrontera la mort dans son vol Gemini 8. Damien Chazelle ne prend aucun plan extérieur à la capsule. Il privilégie l’analogique au numérique et autres effets sophistiqués. L’analogique comme pour nous dire qu’à cette période, nous n’avions pas de numérique. Comme pour se fondre avec l’époque. Comme pour restituer l’authenticité de l’époque, du matériau, du matériel. Sa caméra est à hauteur d’inconfort. Elle se glisse dans la capsule comme les astronautes. Elle trouve difficilement son espace mais suffisamment pour fixer l’intensité du vol. Les première minutes, celles de l’installation et de l’attente du décollage, la caméra colle aux visages des astronautes. Elle nous permet de nous y sentir, nous spectateurs, à l’étroit. De ressentir toute la préoccupation de ce vol. En ce qui me concerne, je me sens tellement concerné, que je vis pleinement la situation. Je connais l’issue mais je ne connais pas le rendu, le vécu que tente de nous retransmettre Damien Chazelle et Ryan Gosling. Et ça marche ! Quand survient la phase de décollage, le son s’emmêle. Nous avons tous le point de vue des astronautes et plus particulièrement celui de Neil Armstrong. Ca vibre, ça gronde, ça secoue, ça hurle. Concert métallique assourdissant. Les effets sont simples, impressionnants, authentiques. On ne sait pas ce qui se passe. On s’en doute, la fusée est propulsée dans le ciel, mais est-ce que tout fonctionne comme il est écrit ? A tout moment, ça peut exploser. Le spectateur doit se contenter du regard des astronautes, doit se contenter de la vision de Neil Armstrong : une toute petite lucarne. Rien ! On ne sait rien de ce qui se passe à gauche, à droite, sous soi ! Les déchirements métalliques sont-ils rassurants ? Doit-on douter de tel craquement ? Les astronautes sont à la merci de calculs mathématiques, cloués sur leur siège, comme handicapés, ligotés, prisonniers, emprisonnés. Sont-ils si confiants ? Ils défient la mort, ils relèvent petit à petit le défi de John F Kennedy. Et soudainement la propulsion les redresse et nous partageons avec eux le silence et l’immensité de l’Espace. Et pour savourer ce moment (on est habitué me direz-vous) on a droit à des plans extérieurs. Le point de vue du réalisateur lors de cette phase de décollage est tout bonnement remarquable. Damien Chazelle a fait simple et efficace ; il en est de même quand la capsule vrille, comme une toupie ; de même pour le voyage vers la Lune. Si le son est moins surligné, c’est la musique qui prend le relais. L’approche de la Lune sous la baguette de Justin Hurwitz est émouvante parce que crescendo. La Lune, c’est l’apothéose, c’est l’hommage rendu à John F Kennedy, à tous ces hommes et ces femmes aux neurones actifs et productifs, un dernier hommage à sa petite fille. Comme je le disais plus haut, il était normal de s’attarder sur le projet Gemini pour comprendre Apollo, mais si reproche il y a, le projet Apollo m’a paru assez court. Certes, le réalisateur a fait ses choix. J’appréhendais ce moment d’Apollo I avec l’astronaute Ed White (Jason Clarke). Dès qu’il est apparu à l’écran je savais qu’il disparaîtrait dans cet accident tragique d’Apollo I (1967). Mais il aurait été aussi intéressant de nous évoquer rapidement Apollo VIII et en parallèle ce que faisaient les soviétiques. Le film évoque Belaïev et Leonov sans mentionner leur nom. Leonov était le premier homme à faire une sortie extra-véhiculaire dans l’espace. Après l’incendie d’Apollo I, il y aura des doutes, des enquêtes, des départs à zéro, de nouvelles ébullitions mathématiques. Des vols inhabités. Puis Apollo VIII, vol habité en 1968 va permettre de placer le vaisseau sur orbite autour de la Lune. C’est un exploit car c’est la première fois que des êtres humains échappent à l’attraction terrestre « pour rentrer sous l’influence gravitationnelle de la Lune ». Les soviétiques, eux, y avaient envoyés des tortues ! Il aurait fallu l’inscrire dans le film. Comme il est regrettable de passer sous silence le retour du LEM. En réintégrant le LEM, Aldrin heurte le contacteur de la manette des gaz qui permet de propulser le LEM vers le chemin du retour. C’est un contrôleur au sol qui trouvera la réponse avec un stylo pour déclencher ce contacteur ! Le film n’était pas à cinq minutes près. Ce contretemps participait encore plus à l’intensité du film. A cette anfractuosité, certainement ignorée de beaucoup d’entre nous, dont je parlais plus haut. Quand je dis que cette Conquête spatiale est à elle seule une matière première prodigieuse sur laquelle tout réalisateur peut s’appuyer sans exagération. Par nature, le suspens est intégré dans cette matière première. Damien Chazelle avec le talent qu’on lui connaît a réussi à ne pas gâcher cette précieuse matière première et aussi en évitant tout ressort patriotique. La conquête spatiale appartient à tout le monde, n’en déplaise aux américains qui, dit-on, n’auraient pas apprécié cet oubli ! C’est l’exploit d’un homme, d’un père qui a offert la Lune à sa petite fille à défaut de lui offrir la Terre. Il n’y a rien à reprocher à Ryan Gosling, il ne fait que retranscrire le tempérament d’un homme ordinaire et appliquer les consignes de son metteur en scène. Quant à Claire Foy, elle est un merveilleux contrepoint de son mari. A voir en V.O bien évidemment…