Je pourrais presque tout louer, à commencer par l'impeccable réalisation d'Arthur Penn, dont les effets toujours aussi tranchants aujourd'hui restituent une violence impossible à cadrer, dont il demeure autant le pouvoir de fascination qu'une perplexité brute, une incompréhension sur l'idée même de son existence. C'est là, dans son rapport à la violence et à la mort, que ce classique m'a le plus questionné, m'a le plus rapproché d'une vraie inquiétude. Regardée comme l'assouvissement d'une vengeance (le ranger), comme un geste de liberté ou de défense de ce(ux) qu'on aime (Bonnie and Clyde), comme un coup de vent qui frappe au hasard ou comme une malédiction (la femme de Buck), la faucheuse et ses coups de serpe travaillent tout du long avec la même ardeur, sans qu'il soit déterminé en fin de compte ce qu'elle matérialisait vraiment. Face à l'incompréhension, on se retrouve seulement face à un massacre dans ce qu'il a de plus indifférent, ramené au plus proche des personnages, du fracas qui s'abat sur leur chair et de l'imminence de leur anéantissement. Le traitement a, je dois dire, franchement de la gueule. Je pourrais louer, aussi, le jeu de Beatty et Dunaway, complexes, qui insèrent suffisamment de failles à la légende de leurs personnages pour qu'on puisse dépasser le mythe et aller chercher ce qu'il recouvrait d'humain. Pourtant, il me reste au final un goût d'inabouti, sans doute dû fait d'un scénario brouillon et un peu fourre-tout. C'est une erreur classique, mais voir cette oeuvre fondatrice d'un (presque-)genre incarné par True Romance, Badlands, Natural Born Killers, Kalifornia voire même Thelma et Louise, infuse forcément un bain indistinct d'émotions et d'images que tous ces films ont copiées ou approfondies par la suite. Pas facile, là-dedans, de retrouver un souffle clair, et de ne pas s'égarer dans un scénario cohérent mais à mon goût un peu indécis sur le parti pris à tenir jusqu'au bout. Pas une apologie, ni une condamnation sans appel, Bonnie and Clyde n'est en fait dur qu'avec l'Amérique prise dans son ensemble, entre une police jamais humanisée et complètement robotique, un couple aussi glamour et libre que naïf et incongru, et une population incapable de choisir un camp, retranchée dans une hébétude morbide. Bonnie and Clyde, c'est en fait une Amérique inhabituelle, travaillée par un relativisme et une indécision en décalage total avec les canons habituels d'un pays qui clame haut et fort ses valeurs. C'est sans doute également pour cela que j'ai eu du mal à rentrer dedans ; ce pays au bout du chemin n'est pas, à mes yeux, le plus propre à voir éclore une idylle rebelle et mortifère contre des forces sociales qui, ici, n'existent même plus en idée. Bref, déroutant, très bien filmé et complètement culte. Je suis un peu paumé, vous l'aurez compris.