Le mythe du duo de gangsters américain est né avec ce film, véritable révolution dans le monde du cinéma, rompant avec les traditions hollywoodiennes dans le traitement des plus célèbres figures du crime pour imposer une réalité brute dans toute sa splendeur, son charme, son humour et sa tragédie. Bonnie Parker et Clyde Barrow sont deux êtres humains, on ne peut plus proche des personnes ayant des tendances réfractaires aux conformismes, aussi légères soit-elle, autrement tout humain un tant soit peu attrayant. Les débuts du film s'inclinent sous une approche décomplexée, une fraîcheur et un enthousiasme de jeunesse se lançant à l'aventure. Ces deux personnages nous ressemblent on ne peut mieux, ou du moins rappellent des souvenirs, de vagues désirs, des gens de notre connaissance si l'on a jamais rien fait dans sa vie...ce qui induit un réalisme impliquant toute notre crédibilité subconsciente, à la fois subjective car nous ne demandons qu'à nous régaler de ce conte contemporain et nous y trouvons largement de quoi nous y plonger. Ceci est très important pour renforcer notre sensibilité vis à vis du drame, car si l'on s'amuse beaucoup en compagnie de Bonnie & Clyde, on sait pertinemment que cela ne peut pas durer. Ainsi la scène où Bonnie retrouve sa mère marque une transition vers la seconde partie de l’œuvre, l’ascension vers le non-retour, l'escalade à la violence, le crescendo de la tragédie. Arthur Penn nous livre à des fusillades de plus en plus sanglante, jusqu'à cette formidables séquence dans la forêt où le serpent est acculé, le tout bénéficiant d'un montage effréné, ultra dynamique, d'un impact rarement aussi percutant. C'est magistral en tout point, la charge émotionnelle ne fait que croître à une vitesse folle, l'action est si rythmée que le film est presque insoutenable. La fin brutale de Bonnnie & Clyde, que Gene Hackman alias Buck Barrow désigne comme très courageuse de la part du réalisateur, nous cingle à la gorge sans concession en nous laissant nous agripper à ce qui n'existe plus sans aucun élément susceptible d'apaiser notre douleur, de nous rassurer, de nous permettre d'oublier. Le générique nous écrase sans qu'on puisse souffler un mot. Les dernières vingt minutes de Bonnie & Clyde peuvent sans conteste s'inscrire parmi les moments les plus forts de l'histoire du cinéma, mais en réalité tout le film est un modèle de construction linéaire, d'articulation narrative tenant compte de l'évolution des protagonistes de prime abord. Les acteurs sont grandioses, on ne peut que rester bouche bée face à la performance gigantesque de Fane Dunaway, et tirer son chapeau à l'interprétation de Warren Beatty en Clyde, quant à Gene Hackman c'est un petit morceau de bravoure à lui tout seul durant tout son temps de présence à l'écran, Michel J. Pollard excellent et Estelle Parsons joue tellement bien qu'au final il n'y a plus de personnages secondaires, ils crèvent l'écran afin d'exister dans les proportions de leur immense talent. Les élancées musicales à chaque fuite sont devenues des caractéristiques incontournables du genre, d'ailleurs elle m'ont faite étrangement penser aux notes de guitare de Délivrance de John Boorman. Fondateur de tout un pan de cinéma, rejeté pour connaître un minimum de reconnaissance aux oscars, défiant la censure de l'époque, Bonnie & Clyde a l'acabit d'un chef d’œuvre majeur, une rafale sensationnelle qui dézinguera aussi bien le cœur et les tripes du grand public que celui du cinéphile.