Ce qui frappe en premier le spectateur au visionnage de Lone Ranger, c'est évidemment l'introduction et la conclusion du film, qui se placent après la mort définitive du Western, un peu à la manière de Peckinpah (le début de Coups de feu dans la Sierra), et qui semblent enfermer l'histoire contée dans la rigidité d'une époque révolue. Il s'agit d'un enfant qui visite dans une attraction de foire les vestiges de ce temps passé, et qui y croise un (très) vieil indien (apparition presque irréelle d'un Johnny Depp surmaquillé) nommé Tonto, qui lui conte alors ce qui aurait pu, ce qui aurait du être une légende classique du Grand Ouest, avec tout ce qu'il faut de nostalgie et de « crépuscule ». D'autant plus que Verbinsky avait annoncé son film comme étant un western postmoderne...
Sauf que ce n'est pas du tout ce qu'il se passe. Du tout. L'histoire contée par Tonto n'a résolument rien d'un western classique, et elle n'a rien non plus d'une « ultime chevauchée avant la fin des légendes ». Si elle en invoque certains aspects (le paysage, notamment, mais aussi certains personnages : le frère du Lone Ranger par exemple, rapidement évacué de l'intrigue, est un archétype du pistolero Fordien), elle réinvente complètement le reste. Il s'agit d'une reconstruction totale du mythe de l'Ouest, en passant, évidemment, par une reconstruction totale du westerner, à partir même de ce que le Western crépusculaire avait laissé (des personnages intellectuels et étrangers au Grand Ouest, comme Ransom Stoddart dans L'Homme qui tua Liberty Valance ou William Blake au début de Dead Man). Ainsi, du cavalier des grandes plaines, il ne reste pas grand chose dans cette réévaluation du héros de western. La loi du duel a été déplacée vers celle de l'action et du mouvement, inhérente au registre de la farce – registre dont Gore Verbinsky est un des plus brillants représentants aujourd'hui – et le personnage principal semble être une sorte de mixture étrange entre le westerner classique et Zorro (et un peu d'Eroll Flynn), bien loin donc d'un John Wayne ou d'un Henry Fonda. Il est alors étonnant de constater comment Verbinsky joue sur l'alchimie entre les archétypes pour fabriquer ses personnages, et comment, depuis deux films, cette alchimie témoigne d'une recherche d'identité, identité du personnage (dans le cas de Rango) ou du genre tout entier (dans le cas de Lone Ranger, justement).
Avoir ouvert son film comme un western crépusculaire – après que les symboles du western classique fussent tous morts et empaillés dans une foire – permet à Gore Verbinsky de convoquer un imaginaire de l'Ouest qu'aucun cinéaste n'avait osé rappeler avec autant de candeur et d'enthousiasme depuis des années, mais en le refabriquant, en le mélangeant avec d'autres figures, d'autres stéréotypes (cette idée de reconstruction du westerner à partir d'éléments multiples et différents est présente dans un autre grand film de 2013 : Django Unchained) pour lui redonner de l'énergie et, surtout, des histoires de héros à raconter. Il s'agit sûrement de faux souvenirs d'une époque révolue, mais c'est cet aspect alternatif de l'histoire contée qui redonne au Western un air de jeunesse, et surtout le réinsère dans le cinéma Hollywoodien actuel (The Lone Ranger reconquiert d'ailleurs le genre comme cinéma familial), ce qui est un geste aussi courageux (l'échec cuisant qu'il a essuyé au box-office en est témoin...) que réjouissant.
Lorsque John Reid fait cabrer son cheval, « Hi-yo Silver ! Away ! », William Tell et contre plongée à l'appui, Gore Verbinsky ne trouve rien de plus amusant que complètement réduire à néant cette envolée lyrique par un brutal retour au silence, et un plan poitrine des plus banal sur Tonto : « Don't ever do that again ». Non, en effet, c'est plus des trucs qui se font, ça. Ce qui se fait toujours en revanche, et qui se fera éternellement tant qu'on pourra raconter le Western alternatif, c'est chevaucher au travers des plaines brûlantes du Grand Ouest, encore et encore, alors même que les paysages se fatiguent et qu'il ne reste plus que les lapins carnassiers pour témoigner de l'indomptabilité désuète des terres sauvages du Far West.