En mal de saga lucrative, Disney a reformé l’équipe gagnante de la fantastique trilogie "Pirates des Caraïbes" (Jerry Bruckheimer à la production, Gore Verbinski à la réalisation, Johnny Depp en tête d’affiche) pour ressusciter le Lone Ranger, héros légendaire de la culture américaine, relativement méconnu chez nous. Et il y a, malheureusement, fort à parier que le film ne sera pas le premier opus d’une nouvelle saga, tant les recettes utilisées paraissent désuètes. Car, l’un des principaux défauts de ce "Lone Ranger" est d’être une vague resucée des aventures de Jack Sparrow avec un Indien dans le rôle du pirate déjanté et le Far West à la place de l’océan. On retrouve, ainsi, ses anti-héros (le mec banal qui va se découvrir un destin de héros, l’Indien et ses pratiques atypiques, le choc des cultures entre tradition et modernité…), ses trahisons en cascades, sa BO signée Hans Zimmer, son ton décalé… et, surtout, Johnny Depp qui nous ressert une énième déclinaison du Captain Jack. Ces points communs très voyants ne sont, d’ailleurs, pas forcément désagréables mais contraignent le spectateur à faire des comparaisons avec l’illustre saga… ce qui n’est évidemment pas à l’avantage de ce pauvre "Lone Ranger". Néanmoins, ce "lien de parenté" aurait pu être éclipsé si le réalisateur Gore Verbinski avait rendu une copie sans faute, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Car la liste des défauts de ce "Lone Ranger" est longue : trop long (surtout dans sa seconde moitié), truffé de trous d’air scénaristique, ultra-prévisible, trop décalé (la scène à cheval sur l’air du "Guillaume Tell" de Rossini !), trop violent (le méchant arrache le cœur de sa victime à main nue… moyen pour les gosses quand même) et surtout trop daté. A ce titre, la séquence finale est une succession ininterrompue de tout ce qu’Hollywood fait de plus poussif en la matière (le suspense factice, le sort des méchant, la vengeance assouvie, la rédemption attendue, les cascades invraisemblables…). Enfin, pourquoi avoir conclu le film sur ce plan du vieux Tonto qui s’éloigne de dos dans les Rocheuses ? Outre le côté interminable de ce plan, c’est surtout le refus de procéder par voie de cliffhanger alléchant qui désole (les producteurs auraient-ils senti que le box-office serait décevant ?). Pour autant, "Lone Ranger" est loin d’être une catastrophe. Tout d’abord, il faut saluer la beauté des décors et le sérieux de la reconstitution du Far West (avec un sens du détail épatant), qui permettent au spectateur de s’immerger dans l’histoire. Le casting est plutôt intéressant puisqu’on retrouve, aux côtés du cabotin mais amusant Johnny Depp en Indien Tonto (qui nourrit le corbeau mort qui lui tient lieu de couvre-chef), un Armie Hammer assez épatant en héros malgré lui, une Helena Bonham Carter égale à elle-même, un Tom Wilkinson inquiétant, un William Fichtner en roue libre en méchant défiguré, un Barry Pepper amusant en lâche capitaine d’infanterie ou encore un James Badge Dale décidément sous-exploité au cinéma. Seule Ruth Wilson, en veuve à peine éplorée, brille par sa transparence. En outre, le film n’est pas dépourvu de bonnes idées, à commencer par le traitement plein de recul de la naissance de ce héros (qui est régulièrement ridiculisé et donc crédibilisé) et la narration en flash-back racontée par un Tonto en fin de vie, qui permet, à la fois, de conférer une dimension iconique au Lone Ranger (devenu une légende manufacturée et, ainsi, l’idole des enfants) et de légitimer quelques ellipses et autres aberrations scénaristiques, dont le réalisateur s’amuse avec talent. Ce choix de narration donne, également, à l’intrigue un ton terriblement nostalgique, voire dramatique quant aux sorts réservé aux Indiens suite à la conquête de l’Ouest… ce qui s’avère surprenant dans une telle production mais qu n’est pas dénué de sens finalement. Enfin, "Lone Ranger" n’est pas avare en séquences spectaculaires et en gags amusants… de sorte que le film remplit gentiment son rôle de blockbuster estival, mais ne peut prétendre à un meilleur statut.