Alors là, si je m’attendais à ça… D’ailleurs je défie quiconque de prédire ce qu’il va voir. Surtout en matière de western ! De nos jours, le genre a tellement de mal à survivre, malgré les réinventions (la plus marquante étant celle de Sergio Leone) ou les remakes. Il faut dire que le western a été à une époque tellement prédominant dans le 7ème art qu’il est aujourd’hui usé jusqu’à la corde. Enfin c’est ce que je croyais. C’est que NOUS croyions. Cette fois, c’est le réalisateur des trois premiers épisodes de la saga "Pirates des Caraïbes" qui s’y est collé, à partir d’une série télévisée américaine des années 50. Eh oui, "Lone Ranger, naissance d’un héros" est une adaptation. Un pari risqué, si on tient compte de la renommée (seulement Outre-Atlantique) du personnage incarné par Johnny Depp et de l’épuisement du genre. Mais un pari payant malgré une réception critique globalement négative. En ce qui me concerne, j’ai été très agréablement surpris. Mieux : je me suis régalé. Pourquoi ? Eh bien parce que nous avons là un juste équilibre entre western et comédie. De mon point de vue, Gore Verbinski réinvente une nouvelle fois le western. D’autant plus qu’il est introduit de façon singulière. Nous sommes propulsés à San Francisco en 1933, alors que la ville avait entamé la construction de son fameux pont, le Golden Gate Bridge. Ce qui explique qu’on l’aperçoit en arrière-plan en cours de réalisation (non, il n’est pas effondré). A quelques encablures de là, se tient une fête foraine. Un jeune garçon pénètre dans une sorte de musée, où il va vivre un moment inattendu et inoubliable. Il n’est pas le seul : le spectateur va le vivre aussi. Ce moment se résume à une rencontre. Une rencontre qui va nous amener 64 ans plus tôt, soit en l’an 1869. Le plus étonnant est que le spectateur est placé au même niveau que ce gamin. Alors prenez ce qu’il faut en friandises, parce que c’est une véritable histoire qui va nous être contée, et vous n'aimerez guère perdre de temps à aller vous ravitailler. Pas une histoire vraie, hein ! Mais une histoire comme on les aime. Bon, question crédibilité, on repassera. Ben oui, comme toute personne fière de raconter ses folles aventures, la tendance est un peu à l’exagération. D’ailleurs le ton est donné assez rapidement avec la partition de Hans Zimmer : les premières tonalités sont de type gaguesque. Mais revenons-en à ces fameuses aventures. Pour les mettre en scène, Verbinski a utilisé tous les codes du genre : un braquage de banque, une attaque de train, un immense troupeau de bisons, des décors d’une beauté à couper le souffle, des gueules et des légendes commanches. Non seulement il les a utilisés, mais il a su les exploiter. Tenez, le braquage de banque par exemple. Il n’est pas commun et permet de sortir des sentiers battus. L’attaque du train ? Le convoi et les cavalcades à cheval sont magnifiés par des prises de vue effectuées à ras de terre, retranscrivant du même coup toute la puissance des bielles et des galops. Ou encore les plans de face rendant impressionnant le mastodonte de fer et d’acier, en particulier lors du déraillement. Les décors ? Je crois que les images parlent d’elles-mêmes, et rendent au grand Ouest américain toute sa légende en matière de grands territoires. En plus des costumes, ils suffisent à eux seuls à nous replonger sans aucun mal dans cette deuxième moitié du XIXème siècle. Les légendes comanches (lapin, corbeau, esprit Cheval...) alimentent les croyances de cette tribu. Quant aux gueules, elles sont effectivement bien présentes. Ça commence par Dan Reid (James Badge Dale), qui attend patiemment son colis dans la gare de la ville, une attente filmée avec une vue imprenable sur la voie ferrée prise derrière lui et son chapeau. Il y a aussi ce vieux briscard de Collins (Leon Rippy). Mais la palme revient à Butch Cavendish, interprété de façon plus que convaincante par William Fichtner. Tant et si bien convaincante que cette figure pourrait aisément entrer dans le cercle fermé des plus grandes crapules de l’Ouest. D’autant plus qu’il est affublé d’un homme qui fait penser au personnage de "Pirates des Caraïbes" incarné par Lee Arenberg, simplement parce qu’il est un peu idiot sur les bords et qu’il aime les belles affaires. Oui, j’admets que "Lone Ranger, naissance d’un héros" comporte des similitudes avec la saga que je viens de citer, la plus flagrante d’entre elles étant le jeu d’acteur de Johnny Depp. On perd toutefois les chancellements qui faisaient partie de ces éléments rendant unique le personnage de Jack Sparrow. En dehors de ça, c’est du copié-collé, en plus rigide, conformément à l’austérité, la sagesse et la fierté du peuple indien. De la même façon qu’il s’est approprié le pirate, Johnny Depp s’est approprié Tonto. Force est d’admettre que ça va bien au rôle. De plus cela permet d’intégrer de l’humour tout en finesse (souvent par la suggestion), avec cette façon de parler comme si tout était une évidence. Une évidence parfois très drôle comme lorsqu’il répond à son compagnon de route à propos des voyageurs dans le train fou : « ils sautent ». Et que dire du dialogue qu’il a avec ce que les siens appellent « l’Esprit Cheval » ? C’est tout bonnement hilarant. Il n’empêche que l’acteur forme une sacrée paire avec Armie Hammer. Un indien, et un avocat-procureur naïf et empoté. Le tableau est… comment dire ? Tout sauf classique. Disons original. En tout cas plaisant, d’autant plus plaisant que nous sentons très tôt que les deux comédiens s’entendent parfaitement. Sinon le long métrage n’est pas dénué de quelques défauts scénaristiques, comme le manomètre de la machine à vapeur qui monte au maximum d’un seul coup, ou des gens qui courent aussi vite qu’Esprit Cheval (quand nos deux héros s’échappent sur son dos). Il manque aussi des réponses à quelques questions : comment Tonto est sorti de prison ? ou encore comment il a monté son acolyte sur l’échafaudage lui-même perché sur un tertre rocheux ? et comment son équipier malgré lui fait pour en descendre ? Quoiqu’il en soit, "Lone Ranger, naissance d’un héros" est un très bon divertissement bien rythmé qui offre en plus du grand spectacle avec des scènes résolument impressionnantes, et sa grande scène finale qui pourrait s’apparenter à la naissance du chemin de fer à double voie, le tout porté par une musique tantôt gaguesque tantôt emphatique. Alors ? Parodie du western ? Ma foi, je serai totalement incapable de répondre à cette question. Je préfèrerai répondre qu’il a été revisité, et avec brio en plus. En tout cas, j’en suis ressorti avec la banane, et nul doute qu’il en sera de même pour bon nombre d’entre vous. Et pour finir, j’ai beaucoup aimé le dernier plan lors du générique de fin, qui montre l’indien s’enfoncer tant bien que mal dans l’immensité des plaines arides jusqu’à devenir un tout petit point, comme pour dire non sans nostalgie que cette époque est malheureusement révolue, à cause de l'insatiable cupidité de l'homme blanc.