La production chaotique de Lone Ranger, avec ses réécritures et ses explosions de budget, ne pouvait que mener vers un film différent au sein du studio Disney. Et en effet, le nouveau film de Gore Verbinski, réalisateur de la trilogie Pirates des Caraïbes, est un étrange objet tiraillé entre la nécessité de produire un gros divertissement familial et des velléités de faire imploser un genre typiquement américain en le posant face à ses incohérences. En résulte quelque chose de fragile, qui peine à trouver sa place, mais dont l’aspect bipolaire s’avère fascinant. Il faut tout d'abord mettre en évidence la distinction : Lone Ranger n'est pas du tout un nouveau Pirates des Caraïbes dont le décor aurait changé pour celui du western. En effet, Verbinski s’en éloigne tellement que la comparaison devient rapidement ridicule. Le western est un genre fondateur qui fascine le réalisateur depuis bien longtemps. Lone Ranger est donc une sorte de prolongement logique de cette aventure de Gore Verbinski à la rencontre du mythe, une rencontre à plus de 200 millions de dollars cette fois pour un résultat qui ne brosse jamais le spectateur dans le sens du poil. Mais il a beau utiliser la Monument Valley si chère à John Ford, sa violence, son goût pour l’étrange et ses excès en tous genres le ramènent vers un regard sur le western qui s’éloigne des monuments classiques. Clairement, Verbinski s'inspire de Sergio Leone. Et principalement du film Il était une fois dans l'ouest. Car non seulement Lone Ranger rejoue, en mode mineur, la séquence d’ouverture de la gare, mais en plus le background du récit, avec l’arrivée du chemin de fer, la fin des bad guys et le propos sur l’extinction des minorités, crée un lien sans équivoque. Ainsi, Lone Ranger s’éloigne assez rapidement de sa relecture attendue de la série TV éponyme pour tenter de se hisser vers des cieux inatteignables, mais en multipliant les efforts. En effet, ce film manque cruellement de cohérence et souffre visiblement de sa genèse chaotique. L’idée d’ouvrir le film, puis de l’articuler, autour d’un Tonto devenu vieillard qui raconte cette histoire à un enfant, est tout aussi ludique que casse-gueule. Au début ça fonctionne plutôt bien, car cela illustre la valeur du récit oral. Mais malheureusement, la distorsion du réel perd de son impact par ces flashforwards incessants qui viennent plomber le rythme de la narration. C’est d’autant plus dommage car le récit en lui-même hérite d’un rythme plutôt soutenu et fonctionnant parfaitement, même si l’inclusion d’ellipses n’est pas toujours la meilleure idée, et même si la durée totale de Lone Ranger marque une de ses limites. Et tout ne va pas assez loin, Verbinski sacrifiant le propos sur l'autel du spectacle. Mais c'est pourtant dans cet aspect très déséquilibré que Lone Ranger se montre le plus audacieux car il utilise un véhicule profondément ancré dans le divertissement Disney. Avant tout, il ne s'agit en aucun cas d'un film pour enfants, à cause des excès en tout genres du film ( cannibalisme, vengeance, trahison .. ) C’est tout le paradoxe de ce film qui ne semble jamais vraiment savoir où il va et avance ainsi un peu à l’aveugle, mais trouve tout de même une structure qui tient la route malgré ses erreurs de parcours. Car, comme on le sait très bien, Verbinski a un véritable sens du spectacle, ce qui donne au film une vraie identité graphique. Mais cela donne également lieu à certains tours de force assez hallucinants, à l’image de la dernière demi-heure du film, certes abusive mais éreintante, dans laquelle il laisse exploser toute sa folie et son sens de la scénographie. Niveau casting, si Armie Hammer assure dans le rôle du héros en pleine construction malgré un côté un peu benêt qui sert de ressort comique, il y a Johnny Depp , excellent, qui sort enfin de son costume de Jack Sparrow pour une nouvelle composition originale, rappelant à quel point il peut être un très grand acteur, et ce même s’il joue dans l’excès. Il éclipse immédiatement le héros, de la même façon que Kato éclipse le Frelon Vert, et se pose en personnage insaisissable aux relents mystiques. Il est par ailleurs le vecteur d’un humour assez noir car débarrassé de toute morale, simplement mû par sa propre culture et sa propre folie furieuse. Une déception dans le rôle de Helena Bonham Carter, qui était très sympathique, mais est à peine évoquée durant tout le film. Lone Ranger est donc loin d'être complètement réussi mais il tranche tellement avec le modèle du blockbuster bien propre sur lui et politiquement très correct qu’il en devient immédiatement attachant. Ne serait-ce que pour la dernière demi-heure où tout éclate, bourrée d'abus de chutes invraisemblables mais vraiment impressionnantes, qui justifierait à elle seule le déplacement.