L’apiculteur, son fils, la nature et… l’épilepsie
D’entrée de jeu, une étrange inquiétude règne. Inquiétude soulignée par l’absence (l’absence !) de musique.
L’enfant, Yusuf, à l’école, répète silencieusement sur ses lèvres un texte lu par une camarade. Quand vient son tour de lire, il veut lire la même histoire mais le maître lui en demande une autre ; la scène est pathétique et douloureuse car il bégaye, est terrorisé et ses camarades le moquent : il ne sait pas lire et voulait la même histoire que celle lue par la petite fille car il l’a connaissait par cœur.
Yusuf est un enfant mutique, solitaire et très perturbé. Il en est ainsi dès le début du film et non pas comme le disent plusieurs critiques, plus tard, soit un bon tiers après le début, quand le père va disparaître.
Absence est le mot –clef de la terreur qui détruit cet enfant.
Des scènes symboliques illustrent cette absence (le jeu de Yusuf avec l’interrupteur électrique, le jeu du ruban sur les yeux, les abeilles mortes et brûlées).
L’absence du père bien avant qu’il disparaisse réellement.
Au cours d’une sortie en forêt où Yakup le père et son fils Yusuf vont visiter des ruches jugées dans les arbres, le père a une attaque fulgurante d’épilepsie (il fait une crise grand mal [tonico-clonique] [1])
On comprend que pour le fils, il s’agit d’une routine (terrorisante) car il est manifestement habitué aux malaises du père.
Donc ce père, grave épileptique, monte très haut dans les arbres pour récolter du miel : il sait pertinemment qu’une chute serait mortelle ; Yusuf aussi et ses troubles graves sont compréhensibles.
Une sorte de complicité règne entre père et fils qui laisserait entendre un grand amour entre les deux. En tout cas Yusuf idolâtre son père et celui-ci ne fonctionne que dans une sorte de complicité avec le fils. Nous ne savons pas si la mère est au courant de la maladie de son mari.
Très inquiète de l’état de son fils, elle se fait rejeter par son mari. Son silence buté est blessant pour elle. Incontestablement, elle aime son Yusuf mais le père lui l’aime-t-il malgré les apparences ?
Question : Yakup, le père sait qu’il sème une inquiétude terrifiante et destructrice chez son fils qui s’attend à tout moment à perdre son père adoré en chutant d’un arbre en état de crise d’épilepsie. La mort du père n’est même pas probable, elle est certaine s’il ne se résout pas à changer d’activité pour un métier compatible avec son mal. Mais il n’en fait rien, voire dénie ce qui se passe : sa propre mise en danger, la douleur de sa femme, l’état de trouble intense de son fils, bref toute la souffrance qu’il sème autour de lui.
La question ici n’est pas de savoir pourquoi agit-il ainsi mais pourquoi refuse-t-il LA RESPONSABILITE de ce qui lui arrive au risque de se tuer, de faire un mal peut-être inguérissable chez son fils et d’infliger un terrible souffrance à sa femme.
IL semblerait normal si Yakup était responsable et aimant qu’il se trouve une activité qui permettrait à Yusuf de grandir (comment pourrait-il apprendre à lire alors que son père l’occupe en permanence) et sa jeune femme de vivre. Sait-elle l’épilepsie ? En ce qui me concerne, j’ai l’impression que non. Mais de toute façon elle est à terre de voir son fils dans une telle souffrance et son mari dans une telle indifférence/absence ; voire plus, Yakup instaure une complicité permanente qui met sa femme hors jeu : il fait tout pour que Yusuf ne puisse pas vraiment aimer sa mère.
Quand le père va partir plusieurs jours, qu’il ne revient pas, tout comme l’enfant, nous spectateurs avons compris : Yakup ne reviendra pas vivant.
La terreur de Yusuf rejoint la réalité : il savait. Et quand l’imaginaire rejoint la réel, c’est connu des psychanalystes, la trauma est ravageur.
Rien n’est magique dans cette histoire : un épileptique qui prend des risques totalement incompatibles avec sa maladie car il l’a dénie signe son arrêt de mort et/ou un accident grave et la douleur insensée des êtres qui l’aiment (insensée car les autres savent à l’avance qu’il ne s’agit en aucun cas d’une fatalité mais d’une attitude tout à fait irresponsable, particulièrement égoïste qui va fabriquer l’accident à venir).
Il est remarquable que dans beaucoup de commentaires au sujet de ce film, cette dimension de l’irresponsabilité, du déni d’une maladie qui fait très peur, soit l’épilepsie, n’est pas soulignée.
La mort du père est envisagée comme une sorte de destin tragique, la douleur de l’enfant est vue qu’à partir du départ du père (c’est absolument faux) et la relation père-fils comme une grande histoire d’amour, le tout baigné dans une sorte d’hagiographie de la nature qui serait aussi inquiétante.
‘Une seule chose et inquiétante : Yakup et sa complète irresponsabilité. Ce n’est même pas l’épilepsie puisqu’une attitude adulte permettrait d’y remédier.
La nature est belle et innocente, la mère merveilleuse d’amour et de douceur… et le malaise n’a rien à voir avec une sorte de prémonition.