Spoilers de Taxi (Drive)r dans le texte qui suit.
Le texte qui suit :
Refn est un cinéphile. Valhalla Rising nous l'avait déjà montré, Drive le confirme. Le film de vikings citait Bergman, Kubrick, j'en passe et des pires, tout en - grande qualité, de celles qui confère au film une puissance indéniable - restant personnel et en ayant un style bien à lui, que la multiplicité des références ne déformait jamais. Après les maîtres du cinéma cités plus haut, à quels grands réalisateurs pouvaient bien se confronter Nicolas Winding Refn cette fois-ci ? Leurs noms sont Welles et Scorsese. Leurs films, La Soif du Mal et Taxi Driver. Il faut avoir en tête l'ouverture du Welles ( difficile de ne pas se la rappeler ), et son suspense lancé par la minuterie d'une bombe. Drive, lui, commence ( presque ) par une séquence tout en tension, au début de laquelle une montre nous expose le timing serré. Le héros le dit lui même : " Je vous donne cinq minutes ". Pas plus, pas moins. Cinq minutes, point. Cette phrase dit beaucoup de celui qui la prononce : un homme méthodique, qui s'en tient à ses principes et qui veut que rien ne dépasse ( l'ombre de Kubrick plane bel et bien au-dessus de l'oeuvre de Refn ). Comme le guerrier silencieux du film éponyme, le personnage interprété par Ryan Gosling a des airs de cow-boy : solitaire, mutique, n'ayant que la violence pour moyen d'expression. On a l'impression que Refn ne peut porter l'art de la mise en scène à son apogée qu'en faisant l'économie de la parole. Chez lui, l'image en dit au moins autant que les mots. Il faut au moins ça car - et c'est là le problème du film - Drive n'arrive jamais à véritablement surprendre au niveau du scénario. Scénario efficace, mais plutôt prévisible qui empêche au film d'atteindre des sommets.
Mais ce que le scénario ne donne pas, la mise en scène l'offre généreusement. D'une précision redoutable et d'une intensité accrocheuse, Drive doit sûrement ça au talent de son réalisateur danois, qui filme tout d'une manière virtuose, carrée, et du film émane un amour du cinéma parce qu'on a l'impression que la mise en scène retrouve une certaine essence ( sans jeu de mots ). Le film entier est traversé par une tension palpable, comme si Refn redémarrait sa bombe toutes les cinq minutes et que les séquences s'enchaînaient comme des promesses d'explosions.
Et justement, à un moment, tout explose. Comme dans la partie ultime de Taxi Driver donc. Chez Refn, la dimension cathartique est absente. Mais les points communs fusent entre les deux films : personnages principaux solitaires et en retrait du monde, activité similaire ( conduire des gens ), et attachement envers une figure féminine, qui plus est bien plus jeune qu'eux ( le choix de Carey Mulligan et de son visage poupin n'est pas un hasard de casting ). Si la partie romance de Drive est assez ratée, c'est peut-être parce que la différence d'âge entre les deux personnages fait plus penser à une relation père-fille. Evidemment, Ryan Gosling est trop jeune pour que Carey Mulligan soit sa fille, mais son côté protecteur envers la jeune femme peut être un signe de fibre paternelle. Par ailleurs, les scènes de séduction sont d'une platitude embarrassante, et si Refn voulait filmer une certaine affection entre les êtres, il passe un peu à côté de son sujet. Ceci dit, quelle que soit la nature de la relation entre les deux personnages, le film est intéressant quand il décrit l'attirance du héros pour sa voisine, sa volonté absolue et jusqu'au-boutiste de la protéger. Dans ce L.A noir rongé par la soif du mal, Irene représente une lueur d'espoir qui irradie tellement qu'elle finit par aveugler le personnage principal, qui s'enfonce dans une spirale de violence dont il ne se rend même pas compte et qui finit par l'éloigner d'Irene ( voir la difficilement soutenable séquence de l'ascenseur et le plan qui suit, d'une simplicité idéale ). Film noir, donc film où la mécanique broie ses proies, Drive ne laisse que peu de chances à ses personnages et offre un portrait amer et désabusé du monde. Il ne faut pas oublier les acteurs, dont un Ryan Gosling impeccable. Dans Taxi Driver, l'apathie était générale et était beaucoup affaire de mise en scène. Ici, Refn ne filme pas comme Scorsese mais s'appuie sur son jeune acteur pour faire passer l'amertume dissimulée derrière le masque de la neutralité. Là où Gosling démontre qu'il est un bon acteur, c'est quand sa mélancolie se fait même ressentir dans les scènes où la violence éclate. En fait, il n'est rien d'autre qu'un super-héros ( comme Batman par exemple, il défend la veuve et l'orphelin, utilise la violence, agit la nuit, et porte un masque ). Gosling est un super acteur tout court et le film lui doit autant que la mise en scène brillante qui le parcourt.