« Drive » ce n’est pas qu’un film. C’est LE film. Celui qui m’a donné envie de creuser mon intérêt pour le cinéma au-delà du simple divertissement. Celui qui m’a donné ma première grosse claque en salle. Celui dont le moindre extrait me donne envie de le visionner encore une fois entièrement et immédiatement. Celui que je n’oublierai jamais.
« Drive » est pour moi l’un des meilleurs films de tous les temps, ou du moins celui qui me touche le plus. Il compile en un peu moins de deux heures tout un tas de thématiques essentielles à ma définition du septième art, sans jamais pour autant les aborder avec tous les clichés déjà servis.
Il suffit de regarder l’atypique introduction. Les plus longues lignes de dialogues du protagoniste principal sont récitées dès les premières secondes. S’en suit une scène de braquage vue de l’extérieur, rythmée par un match de baseball local. Une tension folle pour un moment pourtant pas si mouvementé que ça. Avec en prime un dénouement malin où le conducteur révèle toute son intelligence et son savoir-faire. Simple, diaboliquement efficace, une entrée en matière à l’image du film qui va suivre !
Le héros de cette histoire n’a aucun nom, aucun passé. Ses contrats nocturnes, jamais le spectateur ne saura comment il les trouve, ni comment le jeune homme s’est retrouvé embarqué dans la double vie qui représente son quotidien. Arrivé d’on ne sait où, il a trouvé un emploi chez le mécano Shannon sans rechigner sur le misérable salaire qui lui était offert. Les indices sont faibles ! Le mystère fait partie de la définition même du conducteur. C’est cet aspect qui lui donne tant de charme et tant de froideur en même temps. Ce protagoniste avec qui l’on passe une heure quarante, on ne le connait pas en profondeur. Nicolas Winding Refn ne donne finalement jamais au spectateur toutes les clés pour comprendre l’homme. À nous de le percevoir selon notre convenance personnelle.
La coquille entourant le cœur du froid conducteur se brise au contact d’Irène. Elle qui a un sourire capable de faire fondre le cœur de n’importe quel homme cache aussi au fond d’elle ses blessures. Un mari absent payant pour ses crimes en prison, un enfant à charge, un emploi pénible et rémunérant peu ; la jeune femme dispose de points communs avec le conducteur, c’est certain. Sauf que ses failles à elle sont plus visibles. Elle semble plus vulnérable, tout en ayant une rage de vivre et d’aimer à nouveau sans se faire trahir.
La rencontre de deux êtres brisés, ayant tous les deux des blessures à cicatriser est un moment de joie. Irène et le conducteur s’apportent mutuellement le soutient qu’il leur manquait. Le passage où ils font leur première virée en voiture dans une zone désertée et étonnamment verte de Los Angeles est un délice, probablement l’une des plus belles scènes de cinéma que j’ai vues. Un morceau intitulé "A real hero" l’accompagne. Le conducteur est en effet le héros manquant à la petite famille, la solidité et la force qui lui manquait. Une impression confirmée par un joli plan du protagoniste principal portant le petit Benicio dans ses bras, comme un père avec son fils, son blouson couvrant l’enfant. Au terme de cette scène enchanteresse, Irène et son compagnon se disent au revoir. Une scène touchante, sans excès ni violons. Dans cette relation, les mots ne sont pas utiles. Les yeux et les silences entre chaque réponse suffisent.
Nicolas Winding Refn conte en effet son histoire en économisant les répliques. Selon les situations, le conducteur sans nom est doté d’une sorte de mutisme, de réserve ou même d’une tendre timidité lorsque son regard croise celui de la douce Irène. Les mots ne s’échappent de ses lèvres seulement lorsque le regard ne peut exprimer ses sentiments. Les acteurs Carey Mulligan et Ryan Gosling étant divins dans l’art de véhiculer des émotions par leurs yeux, l’absence de longs dialogues se trouve finalement être un soulagement. C’est ainsi avec délice que l’on observe ces visages s’animer ou se figer face à ce que le monde a de plus beau ou de plus laid à nous offrir.
La douceur qui émane du couple contraste avec le reste des personnages, tous faits de vices. Shannon semble superficiel, se noyant dans ses mots pour obtenir une faveur. Il est tout ce que le conducteur n’est pas : naïf, ambitieux et bavard. Il suscite cependant de l’empathie car malgré sa bêtise, ce n’est pas un personnage foncièrement mauvais. Il porte beaucoup d’affection au héros et le reste n’est que maladresses. Bernie Rose et Nino poussent l’ambition au vice, ils veulent tout, ils veulent que Los Angeles leur appartienne. Autour d’eux gravitent l’intrigante Rose et le malheureux Standard Gabriel. Ce dernier, parfaitement incarné par le multi-face Oscar Isaac, a fait des erreurs qui ne peuvent être pardonnées. Winding Refn parvient à ce que le spectateur perçoive le mari d’Irène de la même façon que le conducteur, alors même que tout porte à le faire passer pour une victime. Il n’est qu’un obstacle, qu’une malheureuse gêne nuisant au bonheur d’un couple.
Après une première partie misant davantage sur les bienfaits de l’amour sur deux cœurs solitaires que sur l’aspect thriller du film, les choses accélèrent. La violence n’est pas cachée, n’est pas non plus surexposée. Le conducteur dévoile une nouvelle facette, mais une facette finalement pas si étonnante que ça. Dans son mutisme, il était déjà possible de cerner une sorte de force intérieure, les résidus d’une colère passée jamais totalement disparue. Pourquoi le mal ressurgi ? Il aime c’est tout. Et l’amour fait renaître en lui la haine, mais jamais sans autre but que celui de protéger ceux qui comptent pour lui.
C’est ce qui fait que « Drive » a selon moi un beau propos. Ce n’est pas une apologie stupide de la violence, c’est simplement la démonstration de la force que chacun possède en soi lorsqu’il s’agit de protéger ce qui lui tient à cœur. La désormais culte scène de l’ascenseur pointe justement le conflit intérieur régnant dans le cœur de cet homme tiraillé par tant de sentiments contradictoires. Haine, amour, violence, désir.
« Drive » parle d’amour, de vengeance, de famille, d’ambition, de recherche du bonheur, de business, de violence, de folie, d’abandon, de retrouvailles... « Drive » est une œuvre riche en thématiques, et jongle habilement entre chacune. L’espoir et l’horreur se succèdent jusqu’à la toute dernière minute, et à cette parfaite fin ouverte. Et lorsque les caractères roses défilent sur fond noir, je n’ai qu’une pensée : "Encore !"
Si « Drive » avait juste un propos intéressant, il ne serait pas aujourd’hui auréolé d’une telle reconnaissance... Sauf qu’il se trouve que le film de Nicolas Winding Refn est aussi une merveille technique. Un petit bijou comme on en rencontre rarement. Une mise en scène virtuose, fluide à chaque instant, permet de glisser de scène en scène toute en douceur. Les plans sont esthétiques à souhait, avec des couleurs magnifiques et de décors saisissants de réalisme. Les tâches d’humidités et l’aspect négligé dans l’appartement d’Irène et de Standard, l’impersonnalité de l’appartement du mystérieux conducteur, la crasse dans le restaurant de l’ignoble Nino, le bazar au garage de Shannon... Chaque intérieur reflète la personnalité de l’occupant, et confère au film des tons différents et adaptés. Pour mettre en valeur ces aspects, la photographie de Newton Thomas Sigel est une merveille. Des tons tours à tour artificiels et malsains d’une nuit noire pleine de néons à L.A aux accents naturels du soleil sur une petite mare d’eau, chaque plan laisse sans voix. Et puisqu’un bon film est aussi un film avec une bonne bande-son, il faut saluer le travail de Cliff Martinez ainsi que les choix musicaux des superviseurs Brian McNelis et Eric Craig, sans qui le film ne baignerait pas dans une si belle ambiance.
Ecrire une critique sur son film préféré n’est pas un exercice facile. En fait, ce n’est même pas une critique que j’ai écrit. Mais j’avais besoin de poser des mots à propos de ce chef d’œuvre, j’avais besoin de ça pour me rappeler constamment à quel point « Drive » est riche. Il est possible que l’envie me prenne de la réécrire entièrement dans quelques années, alors que j’aurais entre-temps saisi de nouvelles nuances à développer. La force d’un grand film, c’est que jamais on a fini d’en parler.