Des yeux bleu acier fixent, sur un balcon, une ville endormie. Ses gratte-ciels carrés où des lumières jaillissent encore. Ses voitures de toutes couleurs roulant, en bas, sur les routes. Il a une veste d'un gris flashy. Un scorpion jaune se baladant sur le dos. Une voix monocorde, agaçante, qui se déroule sans nuance. Un visage obscur filmé dans d'improbables angles. Il cause peu, voir jamais. Pour ne pas parler pour ne rien dire. Ou pour ne pas en dire trop. On ne sait pas d'où il vient. Nul ne sait qui il est. Il ne se bat pas. Ne tue pas... Il conduit. Il a un téléphone entre les doigts. Et des mains un peu sales, mais pas encore trop crasseuses. Ses battements de coeur, pulsations discrètes, se font entendre. Et deviennent, soudain, musique, morceau étrange, entraînant. Plan suivant : un moteur hurle. Une voiture roule, doucement. A l'arrière, deux types masqués regardent dehors, inquiets. Le conducteur, devant, est étrangement serein, calme. Il a les mains posées sur le volant. Des yeux bleus acier fixant, cette fois, le par brise. Ecoutant tranquillement, à la radio, un match de basket. Puis, la voiture accélère. Dehors, il fait encore nuit. Le match continue. La voiture roule plus vite. Le match se poursuit. La voiture roule à fond, sème ses poursuivants, le moteur hurlant plus fort....Et le match se termine, délivrant des cris de joie. Des acclamations. Des bruits quelconques. Là, le générique démarre, des fines lettres rose bonbon s'inscrivent - pour contraster avec la virilité du héros -, éclairant la pénombre. Et se noient aux lumières claires qui persistent encore. Et ce, toute la nuit. Soleil sous l'horizon, obscurité inquiétante, lueurs vacillante : Los Angeles dort. Et c'est beau. Désespérément. Refn sait filmer la ville. La sienne est touffue, truffée de personnages abjects, luxuriante comme la jungle, hanté comme un vieux et grand cimetière. Il la peuple de mafieux ignobles, d'un héros au regard de fer, vide. Il conte des histoires inintéressantes et vaines, mais leur accorde toute l'immense beauté de l'art. Son oeuvre est un véritable film fantôme, désincarné dans le plus beau sens du terme, lisse et sans fond, à l'image effrayante des personnages : plus des hommes, mais de véritables spectres froids gangrenés de l'intérieur, qui se feront tomber les uns les autres. Drive est d'une beauté qui sidère, d'une noirceur concentrée, d'une violence menaçante qui n'explose que rarement, laissant naître en son absence des moments de contemplation superbes, où tout se joue dans les images, dans les silences, les visages qui se ferment, les hommes qui tombent, la mort qui danse. Plaçant l'action de son film dans un monde entièrement clos sur lui-même, comme si derrière la caméra, il n'y aurait plus rien, Refn à l'intelligence de laisser travailler l'imagination du spectateur : son héros, d'où vient t-il ? Que veut-il ? Refn s'en moque un peu. Son nom ? Ses intentions ? Son avis sur ce qu'il lui arrive, alors ? La belle affaire...L'important, c'est le corps, ce qu'il endure, ce qu'il reçoit, ce qu'il rejette. Drive sonne comme la musique du vacillement des corps, et c'est magnifique. Si le scénario n'a rien de spécial, la mise en scène possède une force sûre. Une originalité qui fait indéniablement passer Refn du côté des grands. Son oeuvre est un plaisir de cinéma aux protagonistes désincarnés, comme fut ceux du sublime Barry Lyndon d'un certain Kubrick, stylisé et fermé sur le monde, puisque possédant son propre univers. Semblant soudain très court, le film semble toujours fuir comme le temps : à toute vitesse. Rapide, brut, même dans ces plus calmes moments de contemplation, et ce jusqu'à la dernière, toute dernière seconde. Drive - et c'est cela qui lui accorde, sans doute, sa flagrante beauté artistique - est un étonnant rêve éphémère.