Stanley Kubrick, éternel cinéaste visionnaire et épique, a toujours su transformer un cinéma passionnant et mouvementé en de véritable traduction et pamphlet de nos sociétés, qu'elles soient d'un autre temps ou vouées pour l'avenir. Le sens du cadre et du détails donne au cinéma de Kubrick une dimension indémodable tant sa peinture filmique recèle de toujours plus d’intérêt de fascination. Sur la base de cette notion arrive toujours cette problématique : comment arriver à filmer la folie des grandeurs, quelle soit morale ou spatial ? Il ne fait aucun doute que *Barry Lyndon* sortie en 1976 se distingue tel une véritable synthèse à cette question. Stanley Kubrick a construit ici une peinture articulée et gigantesque où réside l’ascension sociale ainsi que la crise moral d'un homme rusé, charmeur et menteur au beau milieu de l'Irlande et de l'Angleterre du XVIIIème siècle. Son nom, c'est celui de Redmond Barry et à en devenir, Barry Lyndon.
Stanley Kubrick bâtit ici une grande fresque de trois heures se déconstruisant en deux parties et un épilogue. La première retraçant donc l'ascension sociale vers la gloire et la richesse du jeune Redmond Barry (Ryan O'Neal), quittant ainsi la précarité de sa vie Irlandaise vers le rêve Anglais. Pour la seconde, elle évoque la vie au cœur de la démesure à travers quelques complications comme celles d'un enfant perturbateur, un mariage ne tenant qu'à un fil et des dettes devenant de plus en plus imposantes. En atteignant le pic, le jeune Redmond devenu Barry Lyndon sombra inévitablement au cœur d'une chute le reconduisant tout droit vers son point de départ. Adapté du roman *Mémoires de Barry Lyndon* signé par William Makepeace Thackeray, le récit du tumultueux Redmond Barry prend d'abord forme en Irlande à travers une relation amoureuse impossible et dévastatrice. Redmond est jeune, assez pauvre, une virilité remise question et voit la femme qu'il aime depuis toujours, sa cousine Nora (Gay Hamilton), être comme enlevée au profit des bras plus robustes et de la situation plus stable d'un haut commandent de l'armée Anglaise. De cette désillusion, Redmond Barry quitte le domicile familiale pour vaguer à travers une Irlande prise en pleine guerre de Sept Ans. Le parcours d'un homme hors-normes et rusé débute : vagabond fuyant la police; engager ensuite dans l'armée anglaise puis par différentes péripéties se retrouvant dans celle de l'ennemi Prusse; devenant espion qui s'allie avec sa victime; ... de toutes ses péripéties argumentées par sa maîtrise des langues insoupçonnés, Redmond Barry gravit les échelons jusqu'à une femme s’avérant comme son véritable dernier pilier et pouvant l'amener vers un sommet indépassable où règne richesse, prospérité et inévitable décadence. Cette femme, la comtesse de Lyndon (Marisa Berenson), croit voir à travers son futur amour avec Barry une dimension de plénitude et redécouverte d'une jeunesse à priori perdue pour elle depuis longtemps. Mais la véritable facette de Barry Lyndon s'avouant infidèle et assoiffé d'horizons impossiblement atteignables, vont mener la comtesse vers la dépression. Barry Lyndon peine à tenir sur un pilier tremblant qui s’avéra de plus attirer d'autres êtres conscients de cette situation et opposés à la ruse de Barry, avec en tête de liste lord Bullingdon (Leon Vitali), le fils de la comtesse de Lyndon, s'avouant comme témoin premier de la chute financière et morale de sa mère. **C'est un sommet tant rechercher par le jeune Redmond qui, en devenant Barry Lyndon, découvre la facette jouissante et dévastatrice de ce monde. Une vision qui mène à la folie des grandeurs jusqu'à nous en faire redouter. **
Pour construire ce récit monumentale s'étalant sur prés de 40 ans, Stanley Kubrick convoque la composition picturale pour sublimer *Barry Lyndon*. Ces immenses étendues lointaines aux couleurs magnifiquement nuancées ramènent souvent le spectateur à questionner - et contempler -ces personnages distingués face à leurs insignifiances naturels. La caméra de Kubrick se fixant sur une action minime ou un personnage fait reculer son zoom pour nous faire admirer le reste : les immenses pleines indescriptibles de beauté accueillants cette histoire et ces querelles. *Barry Lyndon* est en recherche perpétuelle de ce qui dépasse le cadre, de ce qui parait impossible à retranscrire, sauf en peinture. Ces scènes de lâchée prise au cœur de pièces somptueuses où règnent insouciance, richesse et décadence témoignent de cette folie des grandeurs au sens moral. Mais à noter aussi ces plans gigantesques d'une Irlande et une Angleterre vaste et étendues témoignant quant à elles de ces grandeurs spatiales impossible à conquérir. ***Barry Lyndon* est un assemblement de tableau révélateur des ruses d'un homme employées pour atteindre un sommet social où foisonnent des visages perdues et mélancolique cachés derrière ces maquillages éclatants.**
Stanley Kubrick se situe dans une telle maîtrise de la reconstitution que le sens visionnaire pourrait s'appliquer aux événements passés. Au-delà d'être un récit tumultueux et gigantesque, *Barry Lyndon* se construit telle une oeuvre captant ce qui ne peut se voir. Un véritable tableau de trois heures peignant une quête vers la richesse et la gloire en nous amenant à contempler un homme dont le talent et la fougue ne peuvent se maintenir face à l'élégance et la folie ambiante. Ambitieux et immense, magnifique et tourmenté !