« J’ai repris un de mes livres d’histoire, comme chaque soir. C’est drôle, je pouvais presque tout dire sur cette femme qui avait été la maîtresse d’un roi mort depuis plusieurs siècles mais j’aurais été incapable de dire la couleur des yeux de cette jeune fille qui venait de bouleverser ma vie. »
La Mort de Belle est le cinquième long métrage d’Edouard Molinaro, qui alterna le moins bon (beaucoup de ses films ont sombré dans l’oubli) et le bien meilleur (Mon Oncle Benjamin, 1969, L’Emmerdeur, 1973, Le Souper, 1992) et quelques succès populaires indéniables (Oscar, 1967, Hibernatus, 1969, La Cage aux Folles, 1978). Pour l’heure, nous sommes en 1961 et Molinaro s’associe la plume de Jean Anouilh, le grand dramaturge bourgeois, pour adapter ce roman de Georges Simenon.
La première impression qui se détache de ce film est sa froideur, le ton monocorde et artificiel des personnages, qui posent les dialogues sans emphase, comme ce fut le cas avec la Nouvelle Vague, à laquelle, pourtant, Molinaro n’adhéra pas malgré des copinages et une bonne critique de Truffaut sur ce film. Paradoxalement, c’est précisément cette interprétation qui permet d’accompagner et de donner du réalisme à la lenteur de la narration, équilibrée par les réflexions intérieures de Stéphane (Jean Desailly, fabuleux), professeur naïf et routinier, qu’on ressent terriblement bienveillant (le zéro changé en quatre sur une des copies qu’il corrige). Face à lui, sa femme Christine (Monique Melinand), froide au réveil et suspicieuse et, dans un village où tout le monde se connaît à quelques kilomètres de Genève, Jacques Monod en juge d’instruction direct voire autoritaire et obséquieux, Yvette Etiévant en secrétaire frivole, et Marc Cassot (plus connu pour sa voix de doublage) en commissaire consciencieux et fin psychologue. Yves Robert en barman immigré, Alexandra Stewart en Belle et Louisa Colpeyn en mère amère et misandre complètent la distribution.
Oeuvre à tiroirs, drame psychologique tout autant qu’enquête criminelle aux accents féministes, ce film est réalisé avec une grande pudeur et un sens de la subjectivité tel qu’on n’a aucun mal à se glisser dans la peau de Stéphane, jusqu’à se perdre soi-même en chemin.