Richard C. Sarafian reste pour beaucoup aujourd’hui le réalisateur d’un film : « Point limite zéro », réalisé la même année que « Le Convoi sauvage ». Il serait pourtant plus qu’injuste d’oublier ce dernier à une époque où le western vivait ses dernières heures de gloire, sans doute l’un des plus beaux hommages que l’on pouvait faire au genre. La première scène donne le ton : un convoi de mules tire, en plein milieu d’une nature vierge, un bateau qu’un chef trappeur cherche à amener jusqu’au Missouri, rappelant irrémédiablement le sujet du mythique film que réalisera une dizaine d’années plus tard Werner Herzog : « Fitzcarraldo ». Ce sentiment d’étrangeté qui s’empare alors de nous, soutenu par une sublime musique de Johnny Harris, ne partira plus. On pourrait même parler de fascination tant les émotions se succèdent au fur et à mesure que les minutes avancent. L’environnement sauvage y est pour beaucoup : sublimement filmée dans d’impressionnants décors naturels et remarquablement mise en valeur par une réflexion intelligente sur la « renaissance » d’un homme, elle transcende le récit d’un bout à l’autre. Sarafian ne se limite jamais à la simple beauté de la nature, nous proposant même des passages très réalistes. La représentation du héros est également très intéressante : Bass n'est ni un héros ni salaud, et s'il est un homme simple, il n’est pas simpliste pour autant. Les flash-back subtilement intégrés à l’intrigue sont à ce titre particulièrement éclairants sur sa personnalité et son passé, mais ils ne sont pas les seuls, comme en témoignent les très belles scènes où Bass se prend d’affection pour un lapin, auquel il n’hésitera pas à lire un passage de la Bible dans lequel il se sera reconnu. Mais si la relation entre le personnage de Bass et le cadre sauvage apparaît comme un atout majeur du film, on apprécie également le traitement choisi par Sarafian quant à la question des Indiens. Loin des clichés hystériques et racistes des premiers films de John Ford ou de Cecil B. DeMille, mais également distant de ceux croisés dans « Little Big Man » ou « Danse avec les loups », les voilà ici débarrassés de leurs apparats habituels : danses, discours pacifique un rien pompeux... Le tout sans parler un mot d’anglais. La langue de Shakespeare n’est pourtant pas en reste grâce à l’interprétation remarquable de Richard Harris, magnifique de sobriété et d’émotion contenue, mais aussi de John Huston, splendide dans son rôle de Capitaine entretenant une relation complexe avec Bass, et ce jusqu’à un dénouement bouleversant d’humanité. Difficile dans ces conditions de ne pas cacher notre enthousiasme devant une oeuvre aussi brillante qu’inattendue, aussi loin du western « classique » de John Ford que de celui plus violent de Sam Peckinpah, et qui ne nous laisse en définitive qu’un seul regret : que la carrière de Richard C. Sarafian soit tombée dans la médiocrité télévisuelle après 1975 et son curieux « Fantôme de Cat Dancing ».