C'est curieux mais sans doute véridique ; à tant porter un regard contrit et désespéré sur l'effondrement de ses mythes, à se lamenter de ce qu'elle n'est pas et n'a jamais été sans contrepartie aliénante (c'est-à-dire une terre libre d'opportunités et de méritocratie), l'Amérique et son cinéma donne la douloureuse impression de cultiver positivement un regret par lequel elle essaie de ranimer la flamme de ses idéaux. Comme si pleurer sur ce qu'on n'est pas, c'était déjà l'être un peu, c'était déjà mieux que rien. Cette mélancolie si innervante de toute une frange du cinéma américain, c'est Robert Altman qui en admirait les formes dans MacCabe and Mrs. Miller, anti-western de 1971 dont l'ambiance froide et pesante est à des années-lumières de celle du Grand Silence de Sergio Corbucci. Si l'italien retournait les standards esthétiques du western, c'était certes pour en décaper les mythes, mais en leur offrant un sursaut glorieux et onirique, comme s'ils s'apprêtaient à quitter une vie devenue indigne d'eux, sans personne pour croire en leur puissance, dans un état de grâce magnifique qui laissait place à un sentiment d'abandon total. Altman, lui, s'essayait à quelque chose de beaucoup plus réaliste, faisant de sa figure principale, un homme à la flatteuse réputation, l'image même de tous ces hommes incapables de supporter le statut de légende dont on les revêtait. Aussi extérieure à lui-même qu'une épaisse peau de bête portée pour se couvrir du froid, et investie de la même fonction protectrice, la réputation de héros ou de dur de John MacCabe ne le protège en rien des balles, et même pas de la peur qu'il en conçoit. L'homme, pourtant désacralisé, se trouvera de ce fait même capable d'un courage bien plus respectable, parce que coûteux, à la fois à portée de la main humaine et si dur à saisir. Cette dimension humaniste, Altman la développe d'ailleurs tout du long. La violence est rare, même un bordel se construisant plus comme un lieu de respect et d'attention que comme un défouloir. En plein froid, les hommes font contre mauvaise fortune bon cœur. Les filles de joie, d'un métier qui les voue à priver leur corps de leur liberté, tirent un lieu de confort et même parfois de joie. Tout du long, l'humanité de MacCabe et Mrs. Miller est volontariste, devant son expansion non pas à sa force de maîtrise mais à sa patience et à sa capacité à faire des compromis. On est loin des illusions fondatrices des États-Unis, c'est certain. Pourtant, le pays et sa structure n'y ont pas moins droit de cité que dans tout western digne de ce nom ; il intervient par une trust en pleine essor, symbole du capitalisme dévorant et de entreprenariat à l'échelle inhumaine. Altman finit sur cette base de décliner sa vision morose, niant le pouvoir du pays à maîtriser ses propres tumeurs (l'avocat et la justice, un temps envisagés comme recours face à la violence, paraissent finalement abstraits et lointains) et redonne à son personnage principal, un temps privé de sa force, celle de faire face avec droiture. Quand le pays et ses valeurs perdent tout sens, c'est à l'homme de s'affirmer, n'oubliant pas qu'il n'a de devoir citoyen que si sa citoyenneté lui préserve des droits, qu'une nation n'est pas l'ensemble de ses membres mais une volonté partagée de surélever chacun par le biais de tous. Quand ces concepts sont bafoués, reste alors à revenir à soi-même, et à ne pas le faire trop tard sous peine de voir s'éteindre en plein blizzard un feu qui ne nous aura jamais réchauffé. Western d'importance, et vrai western tant son propos politique est conséquent, MacCabe and Mrs. Miller n'est pas de ceux qui conçoivent l'Amérique comme une idée propre à exalter les hommes ou à les faire grandir en leur désignant la grandeur. Plus ramassé, il préfère en revenir à une dignité et à une persévérance qui, bien au-delà des idéaux collectifs (MacCabe et les tueurs se font face dans l'indifférence totale d'une communauté qui s'unit pour éteindre l'incendie), rend à l'homme sa propre vérité et la possession exclusive de son existence.