« Pilgrimage » (Deux femmes) est assurément un portrait de mère unique dans l’œuvre de John Ford. Ford vénérait la sienne et il s’est, à de rare exceptions près, toujours efforcé de faire des mères de son cinéma des femmes admirables. Ainsi, lorsque le film commence, Hannah dirige seule avec son fils, depuis son veuvage, la ferme familiale. Les premières scènes, (entièrement en studio), sont bucoliques et ne manquent pas de rappeler à la fois le cinéma de Murnau et les tableaux impressionnistes (Ford adorait ceux d’Auguste Renoir). Mais rapidement le caractère possessif et tyrannique de la mère, monstre d’égoïsme, est révélé et l’Arkansas devient un endroit brumeux et claustrophobe. La lumière viendra sur le chemin de la rédemption de Paris au cimetière de l’Est. S’affranchissant des influences de Murnau et de Griffith (superbe plan du bouquet de fleur par la fenêtre du train), le fond et la forme sont étroitement associés (ils le seront dans tous les films à venir du réalisateur), donnant un style très personnel au cinéaste, ce qui est la marque des grands. Cette deuxième partie du film est essentiellement un long chemin vers la rédemption, entrecoupé de scènes comiques, comme le taxi (un cliché sur le parisien râleur), mais surtout l’étonnant personnage de cette mère qui fume la pipe et qui servira de catalyseur. D’une densité incroyable, ce déroulé où chaque plan à une signification, semble passer en un instant (96 minutes pourtant), laissant malgré cette impression de brièveté, le spectateur dans une forme d’épuisement intellectuel. Car le film est d’une densité peu commune, comme celle de la guerre en France ramassée en une minute trente cinq, où la simple et très chargée reconstitution de la photo déchirée du fils défunt (28 secondes). En dehors du travail de story-board que l’on sent immense, le film doit beaucoup à l’actrice principale : Henrietta Crosman. Grande Dame du théâtre aux USA. Elle n’est apparue que peu de fois à l’écran, et si à chaque fois elle était magnifique, elle trouva ici son plus grand rôle. Les acteurs qui l’entourent sont tous excellents (surtout les femmes du pélérinage), exception faite pour Heather Angel dont l’élégant accent anglais, très Oxford, la rend peu crédible dans le rôle de Suzanne, la petite fiancée de condition modeste. Raison pour laquelle Ford n’en voulait pas, mais elle fut imposée par la production. A cette réserve près « Pilgrimage », synthèse des images magnifique du muet, jamais polluées par des bavardages encombrants (les premières années du parlant furent une plaie) est le premier grand film parlant que Ford réalisa, les autres remontant à l’époque du muet. Le premier d’une liste dont le nombre d’item est unique dans l’histoire du septième art.