Quand leur professeur qui porte chaque jour le t-shirt d'un groupe de rock différent (il doit avoir un cousin dans le collège de Bégaudeau) leur annonce que la semaine thématique portera sur la dictature, la plupart des lycéens du Marie Curie Gymnasium protestent : "On va encore devoir en bouffer du III° Reich", "Ras le bol de la culpabilité". La finesse de Herr Werner, qui exige que ses élèves cessent de l'appeler Rainer, consiste à recontextualiser la dynamique du groupe dans la vie du lycée : opposition à la classe d'en-dessous, justification de l'uniforme pour lutter contre la tyrannie des marques, valorisation du comportement collaboratif de chacun et isolement subtil de ceux qui résistent.
Car il y a quelques élèves à la personnalité plus affirmée qui s'opposent à l'expérience. Si un garçon quitte le cour sdès la première séance, c'est plus par dépit d'avoir été mis en minorité que par une manifestation de sa conscience. Par contre, deux filles refusent de poursuivre l'expérience, avant de tenter d'organiser une résistance : l'une par refus du nouveau rituel, l'autre quand il s'agit d'adopter la chemise blanche et le jean comme uniforme de La Vague.
Les autres oublient assez vite l'objectif de cette expérience, et trouvent des accents darcossiens pour saluer le retour à un ordre pédagogique et moral, sanctionné par l'adoption de l'uniforme, du salut au professeur et du fait de se lever pour prendre la parole ; beaucoup d'entre eux opposent ce sentiment d'appartenance à une communauté forte à la dilution des liens et à l'individualisme permissif de leurs parents.
Le générique de début mentionne que le scénario de "La Vague" s'appuie sur des faits réels, et on pense bien sûr à une expérience allemande, tant le contexte de l'expérience décrite dans le film fait référence à l'histoire passée (le III° Reich) et récente (la réunification, l'immigration turque, la culpabilité des générations d'après-guerre) de l'Allemagne. Pourtant, cette expérience s'est déroulée en Californie, à Palo Alto très exactement, la première semaine d'avril 1967. Menée par le Pr Ron Jones avec les élèves de Première du Lycée Cubberley, elle n'a donné lieu qu'à très peu de traces contemporaines, et les circonstances exactes de son déroulement donnent encore aujourd'hui matière à controverse.
A la lecture de la chronologie de la Troisième Vague, on est frappé de voir combien Dennis Gansel a été fidèle jusque dans les moindres détails aux conditions de l'expérience : mouvements gymniques et exigence de se faire appeler Monsieur le premier jour, écriture au tableau de la devise La force par la discipline, la force par la communauté, adoption d'un salut, autodésignation d'un garde du corps les jours suivants.
La vision du film m'a fait penser à la reconstitution de l'expérience de Milgram sur la soumission à l'autorité dans "I... comme Icare", d'Henri Verneuil. Mes recherches depuis m'ont confirmé dans cette analogie : Ron Jones a travaillé avec Philip Zimbardo, un des initiateurs des expériences de Standford, et lui-même ancien condisciple de Stanley Milgram. Autre rapprochement : Oliver Hirschbiegel, le réalisateur de "La Chute", a tourné en 2001 un film, "L'Expérience" qui transposait aussi l'expérience californienne de Zimbardo dans l'Allemagne d'aujourd'hui.
Bon, et sinon, comme film, qu'est ce que ça vaut ? Et bien, ça tient plutôt la route pendant les deux tiers du récit, et si les personnages de lycéens se répartissent assez vite dans des catégories stéréotypiques, le mélange de séduction et de manipulation du Professeur Werner réussit à rendre l'opération plutôt crédible. Malheureusement, par rapport au roman que Todd Strasser avait tiré de cette expérience, Dennis Gansel a choisi de dramatiser le dénouement : "Nous avons changé la fin, parce que j’ai senti que spécifiquement avec notre histoire en Allemagne, il fallait que le message soit très clair. Si vous faites l’imbécile avec le fascisme, voilà comment vous finirez."
Cette intension démonstrative et lourdement didactique nuit en profondeur à la cohérence de l'ensemble. Malgré ce dernier tiers, "La Vague" a le mérite de raconter une parabole qui invite à la réflexion, sans doute plus sur les phénomènes de groupes que sur les dangers de résurgence de la peste brune.
http://www.critiquesclunysiennes.com