La programmation d'un cinéma en été obéit toujours à quelques impératifs inébranlables : une armada de grosses machines hollywoodiennes, une poignée de comédies, une ou deux séries Z qui s'assument, quelques outsiders et une floppée de petits films d'horreur. Au menu aujourd'hui dans cette catégorie : My Soul To Take, slasher écrit et tourné en 2010 qui trainaît dans les tiroirs des studios. La période estivale lui permet aujourd'hui de sortir en France après une sortie confidentielle (mais en 3D inutile) aux Etats-Unis. Pourquoi celui-ci plus qu'un autre me direz-vous ? C'est vrai, les perles, dans le cinéma de genre, ça ne manque pas (All the boys love Mandy Lane, Triangle, Detention...) mais ces dernières passent souvent, et injustement, par la case Direct To Video sans même qu'une sortie salle soit envisagée. La réponse est simple, My Soul To Take est réalisée par la « légende » : Mr Wes Craven. L'occasion pour votre serviteur de dénoncer une imposture...
Dans la galaxie des Masters Of Horror, Wes Craven occupe une place de choix depuis des années. Nombreux sont les fans du bonhomme qui le considèrent comme un des grands cinéastes de genre, alignant les chefs-d'oeuvre horrifiques depuis 30 ans. Tous s'accordent à le dire, Wes Craven est grand ! Tous ? Non ! La grande force de Wes Craven, c'est avant tout (seulement ?) un pif assez incroyable. Pas un talent de metteur en scène (au mieux, un artisan pas trop manchot), ni un style affirmé (il n'en a pas) mais un flair hors-pair pour sentir le vent tourner et s'engouffrer dans la brêche. Il tourne La dernière maison sur la gauche et lance la vague du survival craspec. Succès. Vendredi 13 sort, le slasher devient tendance et Craven créait immédiatement Freddy Krueger (7 films, un crossover et un reboot à ce jour). Succès. Dix ans plus tard, il invente le néo-slasher avec Scream (et, sans le savoir, condamne le cinéma d'horreur à des années noires). Succès. Les remakes sont en vogue et voilà que Craven lance et produit les remakes de ses propres films. Succès. Bref, on l'aura compris, Wes Craven répond à l'adage « Au bon endroit, au bon moment » mais surement pas à l'envergure d'un John Carpenter. Doté d'un certain cynisme, le réalisateur (malgré quelques gros échecs) roule sa bosse, voguant au gré des tendances avec son statut usurpé de génie, sa légitimité en carton et son petit savoir-faire. Et pourtant, combien de ses films sont réellement et intrinséquement bons ? Poser la question revient à donner la réponse...
Ce n'est donc pas un fan de Wes Craven qui se charge ici de la critique de My Soul To Take, tourné peu avant le réussi Scream 4. D'où le peu d'attentes envers le film... et la bonne surprise qui s'en dégage. Et pourtant, il y aurait de quoi redire de cette histoire de tueur schyzophrène qui, 16 ans plus tard, vient de nouveau troubler le quotidien des habitants de Riverton. Premier film écrit par Craven himself depuis Freddy sort de la nuit (un septième épisode en forme de conclusion méta-bordélique), My Soul To Take semble tenter de greffer l'ADN d'Identity dans un cadre de saga littéraire pour ados. Tout y est : une petite ville traumatisée, sept enfants nés la même nuit où un tueur fou est mort, des meurtres qui recommencent, un héros ayant des hallucinations, des secrets familiaux... Bref, personne ne sera surpris de découvrir que la greffe prend mal et que le scénario est improbable, souvent tiré par les cheveux et bourré d'incohérences. L'argument fantastique est raté car jamais complètement affirmé et répondant, lui aussi, à une logique incohérente tandis que le début du film condense trop d’évènements pour être crédible. En somme, le film part sur de très mauvaises bases mais, contre toute attente, on se laisse prendre au petit jeu de massacre. Quelque chose de fluide émane de la narration et de la réalisation (correcte) qui embarque le spectateur avec assez de plaisir pour que l'heure cinquante du métrage passe sans ennui. My Soul To Take fait ainsi figure d'honnète et simple slasher (c'est à dire sans métatexte) qui déroule son programme en s'assurant de garder assez d'atouts et de rebondissements roublards de côté pour relancer la machine. Les personnages ne sont pas un modèle de caractérisation (la bigotte, la bourge, le sportif...) mais aucun n'est jamais à l'abri et les plus charismatiques ont tendance à mourir les premiers. De ce fait, Craven déjoue légérement les clichés et cela suffit à surprendre le spectateur même aguerri. La temporalité resserré du récit (l'action se passe sur un jour) permet un enchainement sans temps mort des situations et un gommage salutaire des aspects les plus nazes du slasher. Ici, donc, point de B.O de soupe pop-rock, d'histoire d'amour de teens, de scènes passe-plats entre les meurtres ou d'ados cons comme la lune qui font une fête alors qu'un tueur rôde. My Soul To Take préfère travailler une atmosphère, plus pesante, de middle-town américaine hantée par un horrible passif. L'ambiance est même propice à une gravité, à un certain spleen que traverse des figures d'ados angoissés. Bien sûr, tout cela ne bénéficie pas d'une exploitation à la hauteur mais cela suffit à donner au film un petit surplus d'âme.
En définitive, My Soul To Take est une modeste pelloche du samedi soir, plutôt honnète et distrayante malgré sa kyrielle de défauts. Bricolé hasardeusement sur le plan du récit, plombé d'incohérences et de trucs improbables, le film s'en sort par une ambiance prenante et assez de savoir-faire pour qu'on se laisse avoir, sans déplaisir, le temps d'une séance. My Soul To Take ne mérite peut-être pas le grand écran et supportera difficilement une seconde vision mais en tant que série B, elle s'en sort plutôt bien.
P.S. : Par contre, Craven n'aurait pas du laisser la création du générique de fin à son petit-fils...