Formidable film sur le mensonge, le cinéma, la fragilité des êtres.
Formidable film sur le cinéma, pourquoi ? Parce que La Fille du RER est un commentaire sur le pouvoir du septième art, sa capacité à développer son sujet et à faire réfléchir, semblant ainsi s'opposer au traitement des médias par exemple, à leur irrémédiable besoin de tout traiter sans véritablement creuser, à faire de la fast-news. Mais le cinéma, lui, a du temps et de l'attention à consacrer aux personnages qu'il filme, quand un JT ne sait qu'enchaîner ses sujets. Et là réside - entre autres - son intelligence. Comment comprendre une fille comme Jeanne/Marie-Léonie et son acte en matant 3 minutes de JT ? C'est difficile, et le cinéma est à l'opposé de cela car il a cette possibilité de s'intéresser aux gens, à leur manifester de l'attention.
La Fille du RER établit donc en permanence deux discours qui finissent par se croiser et qui sont dépendants l'un de l'autre, l'un sur l'irresponsabilité des médias en totale harmonie avec une société de consommation, l'autre sur le média qui sert à raconter cette histoire et qui discourt donc sur lui-même. Le film - quel dommage - tombe parfois dans l'excès explicatif, surligne un peu trop certains traits qui ne sont pas loin d'insulter la démarche intellectuelle d'un spectateur qui pourrait très bien réfléchir tout seul. Mais dans son ensemble La Fille Du RER est plutôt subtil et délicat, surtout qu'il ne cherche pas à expliquer ce qui n'est pas explicable. Film adulte. Soit tout le contraire de son personnage principal.
Le film parle beaucoup de ça, du passage à l'âge adulte. Jeanne n'a jamais véritablement travaillé, vit toujours avec sa mère et a besoin de cette dernière pour lui faire son CV. A l'évidence, elle n'est pas encore très mature. C'est une gosse totalement irresponsable qui ne maîtrise absolument pas l'acte odieux qu'elle invente. Et Emilie Dequenne sait apporter à ce personnage une certaine innocence, un côté paumé, pas à sa place, qui confèrent à Jeanne une véritable tristesse. Le summum étant la séquence très symbolique de la cabane - lieu propre à l'enfance - où elle partage une nuit avec un jeune garçon à qui elle confie toute sa désolation : " Je voulais qu'on m'aime et puis tu vois, c'est tout le contraire qui s'passe " ( j'ai chialé à mort ). Cette phrase résume bien le personnage : elle ne commet cet acte que pour qu'on s'intéresse à elle, pour qu'on la regarde, elle veut juste attirer l'attention. Mais la nature de l'acte ne saurait s'accorder à un tel désir, et on ne peut aimer la personne qui s'y est adonnée. Seulement, faut-il la blâmer ? Quelques séquences du film - à la campagne - montrent les adultes la juger et la prendre de haut plutôt que de chercher à la comprendre et à la réconforter. Et c'est assez effrayant de constater que finalement l'immaturité n'est pas une exclusivité de l'enfance. Dans sa détresse, Jeanne n'a pas besoin d'un pied qui l'enfonce, sinon d'une main tendue vers elle. Jusqu'à la fin son personnage sera exclue, et le montage parallèle final entre la cellule dans laquelle elle est enfermée et la bar-mitzva le dit bien, montre parfaitement sa déchéance et ne fait que renforcer l'empathie que l'on ressent pour elle. Du JT au cinéma, Jeanne/Marie-Léonie passe donc de l'indifférence à l'attention, d'une affabulatrice qui prend les gens pour des idiots à une jeune fille aux failles multiples. C'est donc ça que fait le cinéma, il regarde les gens et parvient à leur rendre toute leur humanité. Son pouvoir est donc immense.