Rappelez vous le phénomène des "Poublots", ces illustrations kitchissimes (à en devenir dingo) de gamins parisiens, SIGNÉES Michel Thomas, qui décoraient les boîtes de chocolats, fleurissaient sur les murs des chambres d’enfants dans les années 70 et 80, et ont transformés toute une génération d’enfants innocents en psychopathes fans de films d’horreurs histoire d’oublier cette orgie de mièvrerie dégoulinante. Et ben, aux USA ils avaient exactement le même genre de peintures naïves et mièvres! Mais comme on est aux USA, cette histoire-là (100% authentique) relève de l’imposture délirante et du capitalisme le plus spectaculaire. Ces peintures sont celles de Margaret Keane, dont Tim Burton à travers ce biopic nous retrcera l'imposture de son mari (Christoph Waltz) comme étant l'artiste ayant peint ces tableaux.
Le contexte social de Big Eyes est plus présent que dans les précédents films du cinéaste où règne le merveilleux. Margaret Keane (incarnée par Amy Adams) quitte son premier mari à une époque où ça n’était pas convenable, et passera le film à se heurter à une société patriarcale où les femmes sont tenues en laisse autant par leur époux masculiniste que par l’église elle-même. L’effacement des femmes-artistes dans l’histoire de l’art n’est pas une fantaisie, et lorsque Walter Keane (Christoph Waltz) affirme dans les 60s que "les artistes femmes ne peuvent pas être prises au sérieux", on pense aisément à la façon dont sont considérées les femmes réalisatrices aujourd’hui. Le sujet de Big Eyes est parfois suffisamment fort pour porter le film lui-même : le héros de Ed Wood (qui partage les mêmes scénaristes que Big Eyes) était nul mais s’imaginait être un génie). Mais Keane est devenu une star, dès les années 1950. Publicité, marketing, merchandising, Keane a tout compris avant tout le monde. Jeff Koons n'a rien inventé. Le script décortique les rouages du marché de l'art à l'ère de la télévision avec un sens de la satire réjouissant. Journaliste complaisant, industriel collectionneur (l'Italien Olivetti), chacun joue son rôle. Au delà de cette dénonciation du mercantilisme au détriment de la dénaturalisation de l'art en elle même comme un reflet singulier d'une personnalité, Tim Burton se sert de ce biopic pour nous transmettre une œuvre-reflet, tel les yeux invoqués comme miroir de l'âme, Tim Burton y posant joyeusement ses problématiques personnelles à travers les yeux d'une artiste troublée dans un maelström de mensonges publiques, d'usurpation, de copies de copies. Cette quête d'identité artistique sucrée s'achève sur un procès climatique et atypique, où le réalisateur nous regarde alors droit dans les pupilles : Big Eyes, modeste chronique de déceptions et de décisions, est l'ultime témoignage d'un Tim Burton qui peint sa conscience, déclare son âme et signe son contrôle sur le cinéma de masse qui pense le contrôler, déclin chuchoté dont il se sait définitivement libéré. Cela peut aussi être perçu comme une volonté à travers ce biopic de revenir, avec sa patte de fabrique à du cinéma plus intimiste, loin de toutes les pressions que les Majors Disney lui imposaient, qui certes ont contribué à son succès, mais à force d'outrance et de non renouvellement avait fini par lasser son public.
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