Et bien, pour un Tim Burton, çà ne ressemble pas vraiment à un Tim Burton ! Pas d’histoire flamboyante ni d’effets spéciaux démesurés, pas de costumes extravagants ni de décors improbables, ce Tim Burton est bien sage, bien sobre, bien « figuratif » en somme. Mais çà ne l’empêche pas de bien réussir son coup. En partant d’une histoire vraie, une des plus belles escroqueries de l’histoire de l’art de la fin du XXème siècle, il propose un film très intéressant, au scénario bien maîtrisé, dans lequel on rentre immédiatement et dont on ne décroche pas avant le générique de fin. L’histoire un peu édifiante de cette femme qui peint dans l’ombre des portraits d’enfants aux yeux immenses (honnêtement, je ne mettrais pas cela dans mon salon, je les trouve bien trop angoissants, mais c’est une question de gout !) et de son mari qui, piètre artiste mais redoutable commercial, vends son travail et s’en attribuant les mérites, n’avait pas besoin d’être vraie pour être crédible. Quand il explique à sa gentille épouse que les toiles ne se vendront pas si elles sont officiellement l’œuvre d’une femme, dans l’Amérique des années 60, je le crois bien volontiers. La condition de la femme à cette époque, c’était d’être « l’épouse de… » et pas grand-chose d’autre (j’ai vu 7 saison de « Mad men », j’ai bien compris cela…). Plus le film avance et plus, honnêtement on devine comment cela va se terminer pour Margaret, même quand on ne sait rien, comme moi, de la vraie histoire de cette femme. N’empêche, les dernières scènes dans le tribunal Hawaïen sont surréalistes (et drôles) et elles sont le point d’orgue de « Big Eyes », son bouquet final. Le film doit beaucoup à son couple d’acteur, la délicieuse (délicieusement naïve) Amy Adams mais surtout l’incroyable Christoph Waltz qui, et c’est ironique, a tendance à éclipser sa partenaire à l’écran comme Walter éclipse Margaret dans le monde la peinture. C’est peut-être, c’est surement, volontaire et Tim Burton à laissé Waltz (son sourire carnassier sur-joué fiche presque la trouille !) en roue libre pour en faire la maximum. J’adore cet acteur que j’ai découvert dans « Inglorious Bastards », j’ai déjà eu l’occasion de la dire plusieurs fois. Dans « Big Eyes », il est flamboyant et pathétique à la fois. Flamboyant quand il entreprend de faire fortune et vendant les toiles de son épouse sous son nom, en baratinant sur son « inspiration », ses « influences », ses « esquisses de jeunesses » (quel culot !), pathétique quand il se laisse emporter par la gloriole, quand il s’accoquine avec la jet set, se laisse griser par les millions et se laisse tenter par… la postérité, carrément ! Même mis en difficulté par tel critique, par tel marchant d’art, il s’en sort avec une mauvaise fois qui laisse pantois le spectateur ! Même acculé par l’évidence, lors de la dernière scène du film, il tente encore de s’en sortir par une pirouette tellement improbable que je ne serais pas surprise qu’elle soit véridique, au point où il en est ! On pourra regretter que Tim Burton ait fait de cette histoire un film très sobre, si peu à l’image de son cinéma habituel. A part le personnage de Walter, les autres sont si « normaux » que, franchement, si on regarde « Big Eyes » sans savoir que c’est le dernier Tim Burton, et bien on ne peut pas le deviner. Même sa « Planète des Singes », son film le plus commercial et grand public (que moi j’aime bien malgré tout) avait sa touche Burton, sa petite patte. Ici, a part les peintures de Margaret Keane, et quelques trop rares scènes où elle voit des gros yeux partout, rien de purement Burtonien. Les plus cyniques ajoureront « Et en plus y’a pas Johnny Depp dedans, c’est pas vraiment un Tim Burton !». Si on met de côté cette petite déception de fan, « Big Eyes » reste un très bon film, bien mené, bien maîtrisé, bien interprété, bien scénarisé, bref, du bon cinéma.