Avec ce deuxième biopic de sa longue carrière, le fantasque Tim Burton signe un éloge de l'art doublé d’un sacrifice du père nécessité par la recherche de la vérité. Qui n’a pas déjà vu en cartes postales, en posters plus ou moins bien imprimés et encadrés ou même sur toiles, ces gavroches et autres cosettes aux immenses yeux débordant d’une impressionnante mélancolie. Souvent, vous en ignoriez le nom de l’auteur et, si vous le connaissiez, vous ne saviez pas que ce nom était celui de l’escroc qui se faisait passer pour leur créateur. Effet, usant d’un inépuisable bagout, d’une immense affabilité, d’une fantaisie débordante, d’une verve à toute épreuve, tour à tour cajoleur, enjôleur, cynique, menaçant, Walter Keane parvient à faire accepter par celle qui est devenue son épouse qu’elle signe de son nom, ce sera plus vendeur, avant de le faire précéder par son prénom. Aux yeux de tous, amis, connaissances, critiques ou acheteurs, ce sera lui le peintre. Alors qu’il n’était qu’un barbouilleur médiocre, il s’était inventé une légende pour négocier sur la côte Ouest des USA des toiles "montmartroises" d’un artiste parisien méconnu dont il camouflait la signature de quelques coups de pinceaux avant d’y apposer la sienne. Faussaire, plagiaire, escroc, tout était bon pour lui afin de recueillir notoriété, honneurs et richesse. Commerçant dans l’âme, il allait exploiter son épouse et inventer une production quasi-industrielle de la peinture. Elle, en état de faiblesse, mère célibataire, seule, dans le machisme ambiant, ne sait résister à ce beau parleur, comédien autant que vendeur hors-pair. Christoph Waltz incarne merveilleusement et très subtilement ce personnage qui joue sur les esclandres, les scandales, les manipulations douteuses, qui saute sur toutes les occasions pour se faire valoir, qui fait siennes des phrases toutes faites en s’en attribuant bien sûr la paternité. Face à lui, Amy Adams interprète une bien fade Margaret et peine à donner à son personnage la force d’une femme qui crée. On aurait pu la souhaiter plus vindicative. C’est avec l’aide de sa fille et d’une église qu’elle parviendra, grâce à la finesse d’un juge impassible incarné par James Saito, juge que n’eut pas renié Salomon, qu’elle aura raison de son aigrefin d’ex-mari.
Si l’usurpation d’identité et la place de l’homme et de la femme dans la société sont la colonne vertébrale du film de Tim Burton, l’analyse de l’art est aussi l’une de ses réflexions. Plaçant en exergue de son film une phrase d'Andy Warhol : "si ces portraits d'enfants ont suscité un tel engouement populaire, alors c'est qu'ils sont bons", il propose au spectateur de réfléchir sur ce qui est une œuvre d’art. Est-ce la toile ésotérique comme celle qu’on peut voir dans la première galerie visitée par Walter ? Des mots fumeux justifiant un travail aussi ridicule qu’incompréhensible, lobotomisant l’acheteur et écrasant toute saine réaction critique. Est-ce comme nous le propose Keane, ouvrant large la voie à Klein, Warhol, Soulages et autres Koons, prononciation française indispensable, la commercialisation à l’échelle industrielle d’un thème mille fois répété ? Certes, la Renaissance Italienne, la grande époque flamande avaient leurs ateliers. Vermeer, Rembrandt, Michelangelo ne travaillaient pas seuls, avaient des assistants, à la fois élèves et émules, certes, un Claude Gelée ou un Fragonard multipliaient les tableaux sur le même thème, mais on était loin de l’exagération actuelle où des réalisations de valeur artistique fort discutable connaissent un immense succès du fait d’un marketing de masse.
Cette folle réalité, mise en scène avec finesse, alliant le comique de Christoph Waltz à la frémissante tristesse d’Amy Adams, est charmante, divertissante. Pourtant Tim Burton nous a déjà offert mieux.