Tim Burton. Voilà bien un réalisateur victime de son succès et de sa popularité.
Cinéaste de génie à l'univers très personnel, la plupart de
ses films sont devenus des classiques et l'imagerie Burtonesque est
désormais facilement identifiable : Personnages loufoques, minces et
timides, artistes incompris, univers visuel fortement inspiré par
l’expressionnisme allemand (porte de travers, escaliers tordus
etc.) présence récurrente de forêts et de monstres...
Tous ces éléments ont finis par devenir la signature de Burton qui, fort de
son succès, à commencer à réaliser des blockbusters plus grand
public et commerciaux comme Alice au Pays des Merveilles, Charlie et
la Chocolaterie ou encore Dark Shadows. C'est à partir des années
2000 que le cinéaste sera injustement boudé et méprisé (de
manière générale) par le public et la presse. En effet, le public
est de plus en plus lassé par l'univers de Burton et sa dépendance
aux acteurs Johnny Depp et Helena Bonham Carter.
Les films sont t-ils des copier-coller ratés et sans saveur pour
autant? Loin de là selon moi.
Difficile de trouver des similitudes entre des films comme Sweeney
Todd et Charlie et la Chocolaterie, ou encore entre Big Fish et Dark
Shadows. Après le succès d'Alice au pays des Merveille, film
commande de Disney, Burton enchaîne avec Dark Shadows, film mineur
de sa filmographie mais qui anéantira définitivement l'image du
réalisateur d'Edward aux Mains d'Argent. Afin de se réconcilier
avec ses fans il réalise un remake en noir et blanc d'un de ses
premiers films : Frankenweenie. Avec un budget Modeste Burton réalise
un rêve : faire de son court-métrage un film en stop-motion. Voilà
bien une œuvre inspiré faite avec passion mais qui est totalement
passé inaperçue aux yeux du public.
Depuis Alice au pays des Merveilles Burton n'est plus un
réalisateur qui rapporte, il cherche une idée de projet plus
simple, moins coûteuse et plus éloigné de son imagerie habituel
afin de se réconcilier avec le public et la critique. C'est donc
naturellement qu'il reprend un projet qui semble parfait pour lui :
"Big Eyes", l'histoire de Margaret Keane, une artiste des
années 50 qui est contrainte par son mari à peindre des toiles
d'enfants aux grands yeux. Walter Keane connaîtra la gloire en
s’attribuant tout le mérite de son épouse.
Avec ce biopic Burton travaille avec les scénaristes d'Ed Wood,
il renouvelle entièrement son casting et remplace Johnny Depp par
Christoph Waltz et Helena Bonham Carter par l'éblouissante Amy
Adams. C'est donc avec ce casting frais, une histoire passionnante et
un budget modeste que Burton réalise son film le moins identifiable
visuellement mais pourtant profondément Burtonien dans les thèmes
abordés. C'est donc dans un environnement de Banlieue américaine à
la Edward aux mains d'argent que commence le film, une femme divorcée
fuit de sa maison avec sa fille et se rend à San Francisco afin de
trouver du travail. Dès les premières images le film surprend de par
sa simplicité et son visuel vintage très coloré. La reconstitution
des années 50 est parfaite, l'immersion est totale et le film entier
baigne dans une ambiance lumineuse très agréable, comme si nous
étions nous-mêmes dans une toile. C'est donc sur un marché d'art
que Margaret va rencontrer Walter Keane, un peintre du dimanche, beau
parleur qui finit par la séduire et l'épouser.
Pour ma part je trouve Christoph Waltz très juste et son surjeu volontaire ne fait
que mieux dépeindre le caractère du vrai Walter, un personnage
manipulateur, exubérant et charmant en même temps.
C'est donc un peu naïvement et également par survie que Margaret épouse Walter
qui finira par s'approprier son œuvre. J'ai beaucoup aimé la
performance de l'actrice Amy Adams, elle joue une Margaret fragile,
touchante mais qui sait se révéler courageuse face à son mari,
elle arrive à faire passer beaucoup d'émotion à travers ses yeux.
Le film, en plus d'être un magnifique portrait de femme, nous plonge
en plein cœur du processus de commercialisation de l'art, Walter va
en effet commercialiser de façons étonnantes pour l'époque les
œuvres de sa femme. Le film soulève donc plusieurs questions :
Production de masse et art peuvent-ils être liés ? Qui
décide de l'art ? Margaret est dépassée par les événements,
elle vit dans l'ombre de Walter qui s'attribue toute la gloire mais
cela ne dure pas car elle décide de parler et donc de sortir de
l'ombre. Walter va devenir véritablement fou furieux après avoir
été humilié par le glacial critique d'art John Canaday interprété
par Terence Stamp. Pour finir, dans une scène de folie du personnage
qui évoque clairement le Shining de Kubrick il va, sous la colère
et l'emprise de l'alcool, se retourner contre sa femme et la jeune
fille en leur jetant des allumettes.
Il y a donc une répétition avec le début du film où Margaret
est contrainte de fuir son mari. Elle finit par se réfugier à Hawaï
où elle parlera à la radio afin de dévoiler au grand jour la vraie
nature de son mari : un escroc. Le film se termine par un procès
que Margaret remporte et où Burton s'amuse avec la personnalité de
Walter, délivrant ainsi une touche d'humour très appréciable.
Un mot sur la musique du grand Danny Elfman : Très agréable
et reprenant des sonorités Hawaïennes déjà entendu dans Ed Wodd
et Edward aux Mains d'Argent, elle apporte une touche non négligeable
au film tout comme la voix de Lana Del Ray qui elle apporte une
beauté et une émotion très appréciable. Big Eyes est donc
malgré les apparences un film cher à Burton, une œuvre vraiment
personnelle qu'il réalise avec justesse et respect envers tous ces
personnages, le cinéaste nous montre qu'il est encore capable de
réaliser un vrai film d'auteur qui repose principalement sur ses
acteurs plutôt que sur son visuel. Ce film devrait donc faire taire
les mauvaises langues qui considèrent que Burton n'a plus rien à
raconter, avec Big Eyes il nous prouve qu'il est encore capable de
nous surprendre.