Comme souvent, grand retournement critique pour un des cinéastes les plus passionnants de notre temps, au seul motif qu'il creuse son sillon et que des spectateurs sont blasés face à ce qu'ils pensent avoir déjà vu. Adoration n'est sans doute pas le plus grand film de son auteur, n'a pas la plénitude stylistique d'Exotica ou des Beaux Lendemains. Mais contrairement à ce que j'ai lu ici et là, ce film ne tourne pas à vide et la patte d'Egoyan est bien là pour servir une matière foisonnante, comme souvent. Seulement, cette matière, dont on peut penser tout d'abord qu'elle va donner lieu à des discours, n'est là que pour permettre le développement des personnages et de leurs conflits intérieurs, pour mieux comprendre de quoi ils se composent, et ce qui peut menacer de les faire exploser (le mot-clé du film, prononcé dans des contextes différents). Alors, évidemment, les points de vue exprimés sur internet à cause des révélations faites par le personnage de Simon sur sa famille ne sont ni ceux de l'auteur, ni là uniquement pour eux-mêmes. En revanche, ils permettent à Egoyan de montrer à quel point la multiplication des points de vue n'aboutit pas à une unification quelconque, et conduit même peut-être à la nullité du point de vue. Mais surtout cela lui permet de montrer comment Simon, et les autres personnages avec lui, vont être obligés de sortir de leur bulle pour pouvoir avoir accès à une certaine vérité d''eux-mêmes et de leur rapport au monde. Film-puzzle moins brillant que les plus brillants de ses films, Adoration n'en est pas moins pleinement un film d'Egoyan, soucieux de la compréhension des sentiments de ses personnages et de leur façon de ritualiser leur vie, en particulier grâce à des récits, des jeux, des mensonges. L'accuser de vouloir "traiter des sujets" me semble donc une erreur. Accompagné par une musique particulièrement prenante de Mychael Danna, Adoration balaie bien des thèmes mais ne les traite pas. Il amène à se poser des questions passionantes.