Certains comparent Frozen River à Fargo. Pourtant, et malgré les grandes étendues neigeuses et toutes verglacées qui occupent souvent l'écran, le film fait plutôt penser à d'autres frères célèbres du cinéma. Frozen River, c'est un peu les Dardenne en Amérique. Avec un style un peu moins sec, rèche, une note plus légère dans la mise en scène. Pour autant le film n'en est pas moins grave et fort. La caméra de Courtney Hunt colle au plus près de ses personnages, en particulier de son héroïne, interprétée par une Melissa Leo absolument impeccable. Son personnage de mère, de femme, est d'une dignité à toute épreuve malgré les actes dont elle se rend responsable. Mais la force du film c'est qu'il ne laisse pas le spectateur se faire juge. Il n'en a pas la possibilité puisqu'il comprend tout ce que Ray commet ; elle a beau devenir criminelle, ça importe peu puisqu'elle n'a pas le choix. Frozen River est un très beau portrait d'une mère battante, toujours prête à repousser ses limites pour subvenir aux besoins de sa famille. La mise en scène de Hunt capte le moindre geste de son héroïne, sa désillusion, la tristesse de son visage fatigué, mais surtout son courage. La caméra portée-collée ( aux personnages ) transporte le spectateur dans le monde de Frozen River, plein de noirceur et de désespoir.
Courtney Hunt s'appuie sur un scénario brillant ( dès le début on croit tout connaître des personnages, ils semblent extrêmement crédibles ), qui joue beaucoup sur l'opposition. Ainsi, l'espoir des immigrants fait contraste avec l'héroïne, qui sait très bien la réalité de la vie en Amérique. Frozen River démythifie constamment le rêve américain, faisant se heurter les opinions en adoptant le point de vue de Ray, qui sait bien de quoi elle parle tant elle en bave ( son " You're welcome " plein d'ironie aux pakistanais en est une preuve ). Une autre opposition concerne la famille, partagée entre une réalité dure ( la mère et l'adolescent ) et une innocence propre à l'enfance ( le plus jeune fils donc ). La mise en scène est une fois de plus géniale dans sa capacité à opérer un discours au sein d'une même séquence, voire d'un même plan ( le gosse regardant les pubs pour les jouets à la télé, alors qu'au premier plan l'ado escroque une dame par téléphone. Deux réalités sont ici directement confrontées ).
Surtout, et parce que le film ancre parfaitement son aspect social dans l'histoire, Frozen River est un polar terriblement efficace, qui scotche le spectateur, lequel se prend d'une passion dévorante pour ce qu'il voit. Le film ne cesse de l'interroger, d'une part d'un point de vue moral ( même s'il prend parti pour l'héroïne ), d'autre part sur le développement de l'intrigue. On se demande sans cesse ce qu'il va se passer dans le film, comment une situation a priori inextricable va se résoudre. Le suspense est à son comble.
Un des plus grands films de 2009, poignant, dur, une merveille.