J'avais vu à sa sortie "The Station Agent", et j'avais apprécié cette histoire aérienne et doucement loufoque d'un nain qui héritait d'une gare désaffectée au milieu de nulle part, situation et lieu prétextes à des rencontres improbables. C'est justement lors de la tournée que le Département d'Etat avait organisé au Moyen-Orient pour présenter ce film que Thomas McCarthy a découvert à la fois l'ampleur du fossé qui séparait les Etats-Unis du reste du monde, et la passion des artistes de ces pays qui lui a inspiré le personnage de Tarek.
Le procédé consistant à prendre un M. Tout-le-Monde, et lui faire croiser la route de gens persécutés n'est pas nouveau au cinéma, il suffit de penser au "Vieil Homme et l'Enfant" ou à "Monsieur Batignole". Comme les personnages incarnés par Michel Simon et Gérard Jugnot, le Professeur Walter Vale n'est pas franchement sympathique, puisqu'on le voit refuser le devoir d'un étudiant hors-délai juste pour ne pas avoir un peu de travail en plus, alors que lui même ne se gêne pas pour être en retard dans l'annonce de son programme.
Partisan du moindre effort (il se contente de passer un coup de tippex sur la date de ses cours), fuyant les relations sociales au delà du strict minimum vital, il s'intéresse si peu à lui qu'il n'envisage pas de s'occuper des autres. Pourtant, le sort, et la rouerie d'un dénommé Ivan vont lui mettre dans les pattes un couple de réfugiés auquel il va s'attacher, et entrevoir la dure situation qu'ils doivent subir. Car si avant le 11 septembre, l'administration US mettait peu de zèle à traquer les clandestins, il n'en est plus de même à l'heure de la chasse aux terroristes, surtout si comme Tarek, on est arabe.
Progressivement, le citoyen sans histoire découvre la vie quotidienne de ces sans-papiers, avec la même stupeur que celle que j'avais eu il y a 15 ans quand j'avais accompagné des amis réfugiés à l'OFPRA et que j'avais constaté comment l'état français traitait ses administrés de seconde zone. Il se confronte notamment aux gardes du centre de rétention, géré par une société privée dans un bloc anonyme au coeur de Queens, avec une absurdité bureaucratique qui fait dire à Mouna : "On se croirait en Syrie".
Thomas McCarthy n'évite pas un certain sentimentalisme, et l'évolution de la relation de Walter avec la mère de Tarek (jouée par Hiam Abbass, vue dans "La Fiancée syrienne" et "Les Citronniers") est un peu trop prévisible. Pourtant, l'ensemble passe bien, grâce à une mise en scène procédant par petites touches, avec des scènes juste esquissées, et des échappées vers la musique, que ce soit la découverte du djembé par Walter ("Au tambour, il ne faut surtout pas penser"), ou celle du piano par Mouna.
Loin des blockbusters hollywoodiens, Thomas McCarthy nous montre une autre Amérique, humaine et complexe, avec une profonde affection pour ses personnages et un sens du détail qui en dit long. Après "The Station Agent", "The Visitor" confirme l'intérêt de ce réalisateur original et sensible.
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