Rarement un film ne s’était autant engouffré dans les fêlures des êtres, dans leurs existences brisées, dans leurs cœurs meurtris par la peine. Rarement un réalisateur n’avait embrassé avec autant de beauté, de délicatesse et d’empathie la douleur et le mal de vivre. Rarement acteurs ne s’étaient abandonnés ainsi et avec autant de courage, de pudeur et de talent à leur personnage, mettant leur corps et leur âme à nu.
C’est ainsi que Sean Penn dépeint dans The Crossing Guard un monde crépusculaire et urbain, complètement désenchanté, hanté par le sentiment de perte, habité par la mort et le danger, nourri d’une peine, une peine latente, mais qu’on devine immense. Un monde dans lequel les personnages n’arrivent plus à vivre. Marqué par le cinéma d’Eastwood, sa sensibilité et la sobriété de son style, le film s’attache à ne jamais sombrer dans le manichéisme et témoigne d’un regard toujours juste et tendre sur ses personnages, cherchant à chaque instant à capter leur vérité émotionnelle. Sean Penn se donne alors tous les moyens possibles pour réaliser un chef d’œuvre désespéré qui transcende son sujet, échappant à la lourdeur qu’il aurait pu induire. Entre Freddy, le père à l’existence mutilée par la mort de sa fille, et John Booth, être mélancolique, assassin involontaire à la culpabilité inconsolable, c’est une confrontation sublime et poignante qui s’opère, délivrant une véritable réflexion sur la rédemption et la culpabilité, ménageant même un espace plein d’espoir et d’humanité. A Sean Penn d’y parvenir sans jamais sombrer dans le mélo. Et de donner à ces immenses acteurs l’occasion d’élever leur talent à une altitude sidérante. La prestation de Nicholson est proprement hallucinante de force et de justesse. Il s’y livre avec une pudeur bouleversante, toujours à fleur de peau, se hissant au somment de son art (c’est dire à quelle hauteur son talent culmine ici). Morse, Huston et Robin Wright sont tous plus touchants et sublimes les uns que les autres !