Rares sont les réalisateurs français qui ont le droit aux honneurs de la sélection officielle à Cannes pour deux films consécutifs. Xavier Giannoli fait partie de ceux-là : trois ans après "Quand j'étais Chanteur", "A l'Origine" concourrait pour la France au printemps avec "Un Prophète", "Les Herbes folles" et "Soudain le vide". Avec deux sélections ces dix dernières années, il se trouve aux côtés de Desplechins, Dominik Moll, Gaspar Noë et Nicole Garcia, juste devancés par Assayas et ses trois sélections.
Est-ce ce label officiel "cinéma français", ou le sentiment de m'être fait avoir par la promo d'un François Cluzet utilisant la méthode Coué pour nous vendre le film, qui renforce mon agacement devant les mêmes défauts que j'avais déjà constatés pour "Quand j'étais Chanteur", défauts partagés dans de nombreux films français ?
Pourtant, le pitch était alléchant. A l'origine, il y a eu un article de Jean-Paul Dubois dans le Nouvel Observateur consacré à Philippe Berre, un escroc qui s'était fait arrêter en 1997 près du Mans pour avoir construit deux kilomètres d'autoroute en se faisant passer pour un patron du BTP et en ayant embauché une cinuqntaine de personnes. Le juge d'instruction de l'époque, Laurent Leguevaque qui a depuis quitté la magistrature, explique ainsi ses motivations : "Quand je lui ai demandé le pourquoi de son imposture, il m'a répondu « parce que pour la première fois je me suis senti être quelqu'un.»"
C'est visiblement cet aspect qui a intéressé Giannoli, la rencontre d'un escroc en bout de course et d'une communauté frappée par la crise, et le chemin de la rédemption que le premier va suivre en se voyant investi de tous les espoirs par ceux qu'il a dupés. Le début s'annonce plutôt bien, avec un climat qui évoque les films de Lucas Belvaux, et notamment sa capacité à mêler l'action et le contexte social.
Malheureusement, la volonté de Giannoli de faire comprendre le cheminement intérieur de Philippe Miller l'amène à insister lourdement dans sa mise en scène et sa direction d'acteurs, avec par exemple une scène où François Cluzet s'effondre en geignant "Tout est faux", histoire de vérifier qu'on ait bien compris, ou l'échange entre Depardieu et lui : "Je ne le fais pas pour l'argent... - Alors, pourquoi tu le fais ?".
L'histoire de cette imposture se suffisait à elle même, avec une spirale à la Jean-Claude Romand où pour faire face à la découverte d'un mensonge, il faut en inventer un nouveau. Malheureusement, Xavier Giannoli a brodé des intrigues autour : une idylle avec la Maire du village, jouée par Emmanuelle Devos, assez horripilante, un transfert quasi filial avec Nicolas, et la menace d'Abel incarné par Depardieu. Cette dramatisation sonne faux, et détourne l'intérêt de l'essentiel, à savoir le rêve à la "Fitzcarraldo" de Philippe et l'hypnose collective des habitants, concentrée sur le très beau personnage de Monika, joué avec subtilité par Stéphanie Sokolinski, alias Soko.
Je reste assez sidéré de l'enthousiasme de la critique, avec Pascal Mérigeau du Nouvel Obs qui parle de "formidable déclaration d'amour au cinéma" ou Serge Kaganski dans Les Inrocks qui le qualifie de "film français d'une rare ambition", sachant que si ces critiques l'ont vu à Cannes, ils avaient dû subir 25 minutes de plus, alors que la version de 130 minutes m'a déjà paru bien longue. Cet emballement, ainsi que la reconnaissance d'une sélection cannoise, me semblent hélas symptomatiques d'un cinéma hexagonal vivotant majoritairement des mêmes éternelles recettes, et expliquent que dans le bandeau au bas de cette page, parmi mes sept films préférés de ces quatre dernières années, aucun ne soit français.
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