Le script articule son propose autour du nombre Pi, d'un mathématicien de génie persuadé que l'univers peut se résumer à une séquence mathématique et que trouver la bonne équation permettrait de deviner certains éléments de l'avenir ; autour de cette histoire se mettent en place des éléments ressortant de la science-fiction, du fantastique, du thriller paranoïaque ou de l'épistémologie, mais, avant toute autre chose, autour de cette histoire se met en place un drame humain basé sur l'incapacité du héros à s'intégrer à ce monde qu'il a pourtant si bien compris. Les thématiques scénaristiques habituelles d'Aronofsky vont transcender l'histoire de base au delà de son simple genre catégoriel. Par son habituel dyptique maladie/passion - obsession ? - il offre à « Pi » un ancrage presque bassement matériel alors même que son scénario va amener le héros à parcourir des chemins plus métaphysiques, oniriques et religieux. Si Pi ne s'avère pas vraiment convaincant lorsqu'il tente de répondre aux mystères de l'univers, et encore moins lorsque qu'il essaie de tous les unifier, son utilisation des mathématiques tend à donner à son scénario des bases concrètes s'appuyant sur des réalités scientifiques avérées. Le paradoxe naissant de cette dichotomie entre les ambitions portées par l'histoire et le traitement offert par le script va ainsi donner à « Pi » une optique riche porteuse de nombreuses pistes de réflexion.
Dommage, cependant, que l'écriture des personnages soit à ce point minimaliste qu'elle annihile tout semblant d'intensité dramatique, le spectateur ne pouvant légitimement éprouver aucune forme d'empathie vis à vis de protagonistes se limitant à leurs simples concepts de départ (le mathématicien, le mentor, la voisine, le rabbin, la business-woman, etc.). Cela a malheureusement des répercussions sur le résultat final en ce que les acteurs n'arrivent jamais à faire sortir leurs personnages de ces carcans rigides, s'avérant, à l'exception du vieux mentor interprété par Mark Margolis, aussi anecdotiques et transparents que de simples figurants. Ainsi, parce qu'il est presque impossible de s'attacher à eux, et notamment au personnage principal interprété par Sean Gullette - qui livre malgré tout une prestation convaincante - l'émotion inhérente au script ne peut malheureusement jamais trouver la concrétisation voulue par Aronofsky. Mais là où le script commence à montrer ses limites, la mise en scène d'Aronofsky prend le relai pour transformer le film en une véritable expérience visuelle et auditive. On pourra certes reprocher au cinéaste d'avoir usé de techniques formelles presque scolaires pour transposer les émotions du héros - il semble glisser sur le sol quand il est malade, utilisation d'un grand angle lors de ses crises de paranoïa, en contre-point duquel on va trouver des plans serrés lorsqu'il s'isole pour réfléchir - mais le résultat est pourtant une indéniable réussite. S'appuyant sur une musique en parfaite adéquation avec les images - signée par le talentueux Clint Mansell - Aronofsky réussit à traduire en langage cinématographique les maux de son protagoniste principal. « Pi » se vit donc plus qu'il ne se regarde, l'expérience pouvant aller jusqu'à une laideur presque atroce lorsqu'il s'agit d'accompagner des crises migraineuses, la musique devenant fausse et stridente et les contrastes de l'image étant poussé à leur paroxisme.
Cette volonté d'inscrire le film dans une esthétique bien particulière est également symptomatique du travail d'Aronofsky. En effet, l'aspect visuel de ses films porte toujours les marques d'un travail artistique poussé, que cela soit pour obtenir un rendu sublime (« The Fountain ») ou pour avoir une image volontairement "dégueulasse" (« The Wrestler »). Dans « Pi », la photographie noir et blanc - signée Matthew Libatique - à l'origine probablement utilisée pour masquer le manque de budget, est poussée jusqu'à éliminer presque toutes les nuances de gris ; les décors, résultant d'une accumulation de bric à brac que l'on pourrait trouver dans n'importe quelle décharge, renforcent tout l'aspect intemporel du film ; le montage et le grain de l'image, presque grossiers, donne au tout l'esthétique d'un vieux documentaire. C'est ici que se situe probablement le paradoxe le plus intéressant offert par Pi, en ce que tout ce qui rend le film visuellement laid est en réalité le fruit d'une véritable réflexion.