J'ai trouvé le film épatant jusqu'à ce que John explique
qu'il a été Jésus
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Jésus qui condamne les textes sacrés et l’Eglise, c’est quand même une critique très commune, cela caresse le spectateur dans le sens du poil, surtout celui qui veut voir dans la religion un ensemble d'imbéciles qui n'ont rien compris aux paroles qu'ils vénèrent, transmettent et commentent. De quoi se démarquer de ces prétendus imbéciles et de dire "je suis intelligent, scientifique, rationnel, et pas névrosé", comme si les bonnes choses était issues du siècle des Lumières et non pas de ce christianisme que les athées veulent absolument faire passer pour quelque chose de négatif, voire la négativité incarnée.
J'ai marché avec le film mais qu'on tombe sur Jésus et non pas sur un prophète mineur de la Bible, cela ne fonctionne pas. En effet, pour le dogme, Jésus est parfait, il aime l'humanité, il souhaite la sauver, et bien sûr il croit en Dieu qu'il appelle son Père. Alors que John est blasé de tout, il n'aime pas spécialement autrui, se contentant de politesse, il a des désirs américains (d'ailleurs les Américains américanisent toujours tout, réduisant l'homme des cavernes à un Américain en puissance). Il exprime des émotions banales, plates, son métier n'a rien d'extraordinaire, il n'essaie nullement de faire de l'humanité quelque chose de meilleur alors que c'est le souhait de tout chrétien, il n'écrit pas de livres miraculeusement pertinents, il ne dispense pas d'aphorismes salvifiques, il ne prêche pas l'amour, il se pose en modèle et en obstacle (celui qu'on voudrait être mais qu'on ne peut pas être) alors que le vrai Jésus enseignait comment se détourner de la rivalité. Il est Blanc, grand, beau comme tout, alors que la science a établi l'hypothèse plausible d'une peau mate, d'une taille très réduite par rapport à nous, et d'arcades sourcilières proéminentes, éloignée des Jésus peints par la Renaissance ; ce qui aurait été beaucoup plus intéressant que l'Américain-modèle. Et si l'humanité n'a rien compris à son message, pourquoi n'a-t-il pas recommencé, au moins une deuxième fois ? Je ne crois pas du tout en un Jésus qui se rend au Proche Orient (pourquoi diantre?) dit trois mots pour se divertir, pour égayer ses journées, et attribuer la grandeur et le génie de ses paroles à une déformation de ces religieux qu'Il méprise tant. Alors que le Jésus de la Bible aime tout le monde ("Aimez vos ennemis"), John-Jésus semble détester tout le monde, jusqu'à sa propre personne.
John des cavernes n'a pas de réflexes d'homme né 14000 ans plus tôt, excepté une allusion au feu de cheminée. Il ne donne pas d'exemples de langues parlées au néolithique, il n'est pas ému par la mort de son fils ; bref il se moque de nous comme de l'an quarante. Quand la dame chrétienne lui demande de réciter le sermon sur la Montagne, il fait : "oh, bof, c'était rien, il y en a eu plusieurs" alors que pendant 2000 ans les chrétiens le répètent comme un texte saint. Je crois surtout que pour un athée, rien n'est plus jouissif que de montrer un Jésus nul et archinul et des disciples qui s'extasient pour rien ; quoi de plus méprisant qu'un athée ? On n'a pas le droit de prendre la parole mais si un athée veut montrer qu'il est intelligent, il lui suffit de stigmatiser le christianisme. C'est un rituel dans les talk-shows télévisés et les cafés-philo : chrétien = imbécile et athée = intelligent. C'est pourtant simple à se rappeler... D'ailleurs, je pense que les lecteurs vont exprimer un vote négatif pour juger mon approche, pourtant plus intéressante que les habituelles expressions de mépris mêlée d'une tolérance oxymoristique.
Quant à dire que la parole de Jésus est la même que celle de bouddha en hébreux, non seulement Jésus parlait en christo-araméen mais encore les approches du désir par les deux religions ou pensées sont différentes : le christianisme encourage à choisir ses désirs et notamment à imiter un maître alors que le bouddhisme recommande d'éradiquer le désir. L’occident n’est pas comme l’orient.
Les amis de John ont Jésus sous la main : c'était pourtant l'occasion ou jamais de poser les questions auxquelles le Xisme n’a pas de réponse, dans sa grande amnésie : comment faire un miracle, comment savoir si Dieu a créé le monde, quel est le sens de la vie, comment être heureux, que penser de Pascal, de Weil et de Nietzsche... Je trouve les interviewers bien timorés, peu conscients de l’immense chance de parler à « Dieu ». Il faut dire que ce Dieu est vraiment trop imparfait pour être crédible (à moins que John ait perdu la main depuis ses exploits religieux), surtout si on pose avec Saint Augustin ou Descartes qu’il sait « tout » et qu'Il nous connaît mieux que nous-mêmes. Ce Dieu-là ressemble plutôt à Socrate « je ne sais rien. » Ce n’est pas tant la suspension du scepticisme que j’interroge car le film est convaincant, c’est plutôt sa façon de ramener Jésus à une anecdote un peu bête, presque une plaisanterie potache dans laquelle tout le monde a marché, tout en magnifiant ce moment tacitement. John ainsi écrase sans peine son assemblée et même l'humanité entière. Même moi dans une telle situation je ne me le permettrais pas. Je veux dire par là que c'est trop facile pour le scénariste de dire : "Je vous montre le vrai Jésus et ce que je dis est plus vrai que la Bible et les saints". Il fallait relever le défi et le Jésus du film est très décevant, cette déception étant mise sur le dos de la trop grande attente et de la bêtise de nos semblables. Finalement, c'est le film qui est bête, par son incapacité à gérer sa mégalomanie. On obtient un personnage que tout le monde voudrait être, or Jésus est là pour donner le remède à la rivalité, et non pas l'exciter.
Une erreur résume toute la maladresse du scénario
: John dit qu’il ne « marque » pas quand on le blesse alors que les stigmates de Jésus sont bien connues, avec un certain Thomas qui passe son doigt à travers le trou « pour croire ».
"Heureux ceux qui croiront sans avoir vu" dit l'évangile. Espérons que ma critique de cinéma transformée sommairement en prêche permette aux esprits les plus ouverts de froncer les sourcils et de se poser la bonne question.