Voilà un film étrange. Et époustouflant. Au début, c'est le premier aspect qui saute aux yeux : l'étrangeté. L'histoire, sorte de ballade langoureuse menant à des témoins ternes et des pistes ennuyeuses, ne semble être qu'un prétexte. Les personnages, pour certains dispensables à l'intrigue, donnent quant à eux l'impression d'errer sans but au sein d'un univers dichotomique, oscillant entre un réalisme méticuleux et une volonté cinématographique proprement fictivante. Encore une fois un prétexte, semble-t-il donc. La caméra, pour finir, apparaît comme scolaire et négligente, totalement vide d'originalité, voir même de variété. Nouveau prétexte. Mais prétexte à quoi, au juste ? Cette humilité filmique, pour ne pas dire naïveté, aurait-elle un sens ? Oui, elle en a un. Elle délivre ce que le cinéma a toujours rêvé de délivrer, à savoir un réalisme si proche et si juste qu’il devient la juste et seule réalité. Au moment précis de cette découverte, le film devient époustouflant. L’intrigue ordinaire se révèle être un récit de vie universel, hyperréaliste et organique, qui non content du réel de ses images, arrive à propager le sentiment du réel. La lourdeur de la journée, les discussions sclérosées de banalité, l’ennui, la colère, mais aussi le désir, le plaisir, l’amour, l’existence. Voilà ce que réussit Claude Chabrol dans son dernier film : transformer sa caméra en œil humain, et les spectateurs en cerveau sensitif de cet organe. On se voit à l’écran. Et par ce fauvisme cinématographique, l’œuvre opère une mise en abîme du cinéma tout entier : au septième art mécanique et insipide que l’on trouve aujourd’hui dans nos salles de cinéma, Bellamy oppose, enfin, un cinéma du réel total : le rythme lent et les personnages, fanés mais individuellement irréprochables, nous ramènent au plus près de nous-même, au plus près de nos existences, toutes aussi hasardeuses, maladroites et fantastiques. Gérard Depardieu, suintant d’humanité, y joue sûrement le rôle de sa vie.