Étrangement, en m'intéressant de près aux réalisateurs de la Nouvelle Vague, je m'étais attendu à trouver son nom, car avec ce film, qui lui a valu la Palme d’Or, tout indiquait à croire qu'il en ferait partie, et à ma grande surprise non. Cinéaste à part, entre apparemment gros bides et triomphes, il semble assez esseulé et pourtant toujours reconnu…
Ce qui est certain, c’est qu'Un homme et une femme me met pleinement en confiance pour découvrir en profondeur ce réalisateur. Comment expliquer, à part dire que j'ai vu là un des plus grands films de mon expérience cinématographique – tout confondu ?
Dès l'intro je trouve le film envoûtant. Ce travelling sur le quai de Deauville, près de la mer, le fond de ciel orangé derrière, et la musique, premier mouvement magnifique. Et ça, on en voit 10, 20, 30 fois dans ce film, c'est hallucinant.
C'est diablement intelligent et inventif. La simple méthode pour rappeler les souvenirs, avec leur première rencontre dans la voiture, c'est tout bonnement divin de faire ça, juste génial. Comme le dit lui-même Lelouch ce film raconte « la mi-temps d'un couple ». On a donc une énorme incursion du passé, des deux côtés, et la manière de le montrer, de le raconter, est juste jouissive. Même du côté de Trintignant les longues scènes de voiture ça m’a passionné, car on est vraiment dedans, et c'est superbement filmé.
Pour prendre le film d'une manière plus globale, c'est fou comment c'est rapide, extrêmement dense (Lelouch dit que ça a pris plus de 3500 plans de tournage au total…) mais en même temps très fluide, constamment un parallèle (soit passé/présent, soit l'histoire de Trintignant d'un côté et celle d’Aimée de l'autre) où une partie est ultra-rapide (lui avec les voitures), et l'autre beaucoup plus posée, lente (elle qui marche, attend, où avec les dromadaires par exemple).
Et en parlant de ça Lelouch n'hésite pas à certains moments de « calmer le jeu », et prendre son temps, évidemment la scène du restaurant. Mais cette scène est juste… Dans le dialogue entre les deux, il faut se focaliser sur les yeux d'Anouk Aimée, qui regarde Trintignant et l'écoute parler, le mouvement de ses yeux, on a l'impression qu'elle est vraiment amoureuse de lui, vous savez ce mélange de naïveté et d'intérêt vrai, les yeux qui bougent tout le temps, qui pétillent, comme si on était surexcité, un réalisme pareil c'est énorme (enfin je sais de quoi je parle car la seule fille qui m'a regardé comme ça ça s'est bien fini), cette fille a un talent énorme. Enfin bon voilà c'est mon actrice préférée donc bon je ne vais pas encore la complimenter j'en finirais pas. Mais oui après Huit et Demi et la Dolce Vita, la voir dans un autre chef d’œuvre ça confirme mon avis sur elle, j'aurais jamais pensé qu'avec ce film elle puisse maintenir le cap des autres, et là dans un genre totalement différent elle offre une prestation grandiose…
Le découpage dans le temps est extrêmement ingénieux (ça me rappelle du Truffaut), puisque l'histoire en elle-même est ultra simple, et il y a bien quelques scènes au présent, mais très souvent on voyage soit dans le passé soit dans le futur proche (ou bien un futur idéalisé), ainsi ça pourrait paraître tordu mais pas du tout, ça reste compréhensible, c’est superbement foutu.
D’excellentes scènes, le scénario tient la route, mais au-delà de ça c'est la mise en scène quoi, et c'est juste génial car Lelouch pose des scènes, je pense celle au bateau, ultra rapprochée sur les personnages, et d’un coup on est éloigné, on voit le bateau loin, avec un putain de ciel derrière et le soleil, ça dure quoi 2/3 secondes, et on revient dedans, voilà juste ça c'est magnifique. Il s’approprie chaque scène, chaque plan, d'un talent divin, voir cela c'est juste splendide.
Façon le lot de grandes scènes il y en a énormément dans ce film. Vers la fin quand ils sont enfin ensembles aucune musique, ils s'embrassent pendant bien une minute, dans un noir et blanc somptueux, toute la caméra sur elle, son visage d'ange, cette putain de déesse, et là en même temps elle a les souvenirs de son ancien mari, et on les revoit nous aussi, et eux-aussi sont magnifiques, et comme elle on est basculé entre les deux, non mais cette scène, époustouflante… Un chef d'œuvre, c'est divin. Même quand on la voit avec son ancien mari les scènes sont bouleversantes, dans la neige, c'est génial. Où alors dans la voiture quand Trintignant revient sur Paris et le travelling sur les arbres et derrière le ciel rouge avec le soleil, et la musique derrière, j’ai l'impression de voir des images que j'ai déjà vu dans mon passé, et voilà pouvoir capter ces moments-là, nous les balancer tout le temps (l'histoire du vieux avec le chien qui se baladent sur la digue de Deauville avec la « fumée » qui sort de la plage et monte dans l'air c'est juste splendide ce travelling) c'est d'une ingéniosité… On a ça constamment, là où elle est devant l'Arc de Triomphe en cherchant un taxi en se dandinant en plein milieu de la rue, ce moment-là est magique, ou encore sur la fin le noir et blanc quand ils sont dans la chambre d'hôtel et qu'elle décide de partir (en noir et blanc autant dans la photo que dans les habits Aimée est encore plus gracieuse, c'est de l'orgasme cinématographique à ce niveau-là), puis la superposition des images elle dans le train lui dans la voiture, c’est du génie ça. Puis Lelouch s’autorise constamment à changer, je pense à ce monologue de Trintignant dans sa voiture qui s'imagine comment les évènements vont se passer, ou bien à un moment pendant un court instant Aimée et Trintignant deviennent ensemble les narrateurs, sur des plans magnifiques de la plage de Deauville et des bords… L'opposition noir et blanc/couleur est d'une beauté merveilleuse, Lelouch a la grâce de mettre les « bons » moments en noir et blanc, et les « bons » en couleur, chaque choix semble avoir été fait au mieux, et donc à chaque fois le rendu est splendide.
Lelouch nous offre des dizaines et dizaines instants de beauté, même la façon de filmer les voitures de rallyes dans la neige, ou bien la voiture où ils sont Aimée et Trintignant, sous la pluie, et derrière la route mouillée et les arbres autour et la caméra juste devant le pare-brise, et les essuie-glaces qui effacent par instants les traces de pluie qui masquent leur visage, puis ça revient, et ça repart…
Je suis vachement limité car des moments de grâce comme ça on les a pendant 1h40, tout le film c'est ça.
Cela fait partie des rares films où l'on se dit qu'à quasiment chaque plan ça relève du génie, je n'ai pas peur de le dire, et c'est le cas ici. La photographie est exceptionnelle, enfin bon j'ai vu une version restaurée, ce qui sublime d'autant plus le talent de Lelouch. Trintignant toujours magique, sa voix est vraiment sensuelle je trouve, et puis Aimée… Façon à chaque scène ou plan sur elle j'étais comme transporté, cette actrice est… je ne sais pas j'ai plus de qualificatif, un sommet du cinéma, je suis bien content qu'elle ait jouée dans ce chef d’œuvre.
Palme d'Or totalement méritée (je commence à avoir une bonne liste de grands films Palme d'Or, enfin) pour un chef d’œuvre servi par un réalisateur bourré de talent et créatif (j'oserai même dire, bien que ce soit dans un ton très différent, que ça me rappelle du Godard) et deux très grands acteurs au sommet (tout en haut, s'ils vont encore plus haut ils tombent), mise en scène, scénario, tout est génial, une aussi grande claque ça doit faire bien longtemps que je n’en ai pas eu.