C'est toujours plaisant de voir qu'il existe une certaine élite en France, enfin à Paris, qui peut regarder un film où rien ne se passe sans quitter la salle. Effectivement, je m'attendais à ce que la moitié du cinéma parte au premier quart d'heure à la première scène répétitive du double expresso. Et non, toute l'assistance savait à quoi s'attendre, et avec cette gestion de l'ennui qui n'appartient qu'aux personnes qui sont passées par de longues études supérieures, elles ont patientés jusqu'au dénouement qui permettait de comprendre toute cette œuvre exigeante. Sans même un raclement de gorge, juste un putain de mobile vers la fin, totalement incongru face à quelques poncifs du film et qui j'espère ont mis deux fois plus la honte à l'étourdi(e).
En effet, contrairement à Lynch, ici, on a le droit à une explication, certes un peu surréaliste, mais tellement jouissive qu'il ne faut pas se priver de rester moins de 2 heures à suivre les pérégrinations silencieuses de Isaach.
Devant un film d'une telle exigence, d'une beauté plastique très appréciable, d'une culture cinématographique plantureuse mais amusante, accompagnée d'une superbe musique, on se retrouve dans un cocon qui a ses codes d'accès, qu'évidemment le beauf de France n'aura pas le courage ou les moyens de déguster. Et c'est tant mieux, il n'empêche que la grande salle du Cinéma des Cinéastes était aux trois quarts pleine.
On pense notamment à Wong Kar Waï, Johnnie To et surtout à leur maître, Melville. Mais à la sauce lumineuse, grâce au choix du pays, l'Espagne. Et au choix alter-mondialiste du casting, anglo-saxon, Mexicain, asiatique, Palestinien, créole, Français, et évidemment africain.
Si tout le film et sa méthode est un hymne à l'existentialisme et on le savoure pour ça. On comprend enfin au dénouement tout ce qui était évident sinon devant nos yeux. Cette fin est carrément hallucinante au niveau de la narration hollywoodienne ! Un magnifique camouflet, qui ne fonctionne pas si mal, pour le cinéma populaire et ses lourdeurs de divertissement imagé.
Et on se souvient alors de toute l'exigence et des nouvelles méthodologies des terroristes ou autres mafieux des temps modernes, pour ceux qui suivent les docus d'actualité.
S'il n'y a pas de limites, il n'y a plus de contrôle, c'est la litanie d'un samouraï des temps modernes mais aussi une ellipse sur le monde libéral actuel, et on ne comprends pas très bien ou hélas on ne comprend que trop bien pourquoi le titre Français est aussi nul même s'il se défend d'une autre manière qui fait trop appel au grand final, au risque de tout dévoiler.
Un chef d'œuvre total et sans aucune concession, loin de tout ce qu'on a pu voir depuis longtemps, loin du cinéma commercial avec pourtant une qualité d'image, de son, de direction d'acteur qui est digne des meilleurs films d'action. Et il n'y a pas une seule scène d'action ! Juste quelques paroles profondes qui m'ont plus d'une fois interpellé et qui sont propices à certaines réflexions indispensables sur notre propre existence et notre rapport au monde tel qu'on le perçoit aujourd'hui. On pourrait même dire un film d'espoir sur notre destinée si on la prend en main, ou sur notrecondition humaine si on change de philosophie.
Évidemment, inutile de se déplacer si vous ne pouvez pas comprendre qu'un film soit en dehors de toutes les catégories. Il est tellement lent et répétitif que je n'ose imaginer la réaction d'une personne qui se serait trompée de salle...
Pour les autres, indispensable, ni plus ni moins.