Peut-on partir avec un avantage si l'on décide d'aller voir l'adaptation d'une œuvre matrice dans la littérature ? Oui, en ne l'ayant pas lue. Il n'est pas toujours aisé de jongler entre connaissances, espérances et conciliation face aux inévitables ajustements que le passage à une autre forme artistique sous-tend, en particulier quand elle est assujettie à de plus grands impératifs commerciaux. Alors, heureux sont les ignorants ? On peut le dire. Sans être sourds face à l'excitation ambiante, ils seront délestés d'une grille de lecture viciée et aborderont l'œuvre coupée de son origine. Les conditions idéales, puisque par définition et dans leur nature, les deux formats peuvent cohabiter sans être jumeaux (2001, Shining, Les Fils de l'Homme). Et Dune ? Encore mieux ! Plus on s'est cassé les dents à l'adapter, plus sa réputation d'ouvrage inadaptable lui est restée. On ne verra probablement jamais la version de Lynch, ce qu'il en reste n'est pas inoubliable (je l'ai d'ailleurs oubliée), et le projet chapeauté par Jodorowsky n'a d'autre place que celle d'un fantasme. Denis Villeneuve entend pourtant relever le défi ? Grand bien lui fasse pourvu qu'il se l'approprie. À en juger par le résultat final, le réalisateur canadien a eu le champ libre. Trop d'ailleurs.
Depuis sa révélation en 2009 avec Incendies, Villeneuve su gravir les échelons sans se compromettre dans les exercices enquillés sans passion. Jusqu'au tournant Blade Runner 2049 qui le voyait se mesurer à l'un des monolithes S.F de l'Histoire du cinéma. C'est également l'instant où le regard porté sur le cinéaste s'est légèrement fractionné. Il reste l'un des noms les plus en vue, c'est vrai. Ses films sont attendus et reçus avec grande bienveillance, indubitablement. D'un autre côté, plus on avance dans le temps, plus des voix pointant le maniérisme au travers de sa mise en scène deviennent audibles. Jusque-là, mes réserves à se limitaient à des problèmes de longueur ou de zèle dans ce qu'on appelle les money-shots (en gros, du plan iconique hyper-chiadé). Mais Dune m'amène à un point de rupture à ce niveau. C'est la première fois que ce problème de hiérarchie me saute aux yeux avec une telle évidence. Il y a une dissonance presque continue entre les phases d'expositions, les séquences d'action, les rebondissements et les résolutions. Incertitude ? Trop grande confiance en ses capacités de conteur ? Le fait est que tout est traité de la même manière, soit avec raideur soit avec excès. À plusieurs reprises, certains registres se grignotent même les uns les autres, des scènes de frictions retombent par l'entremise de passages complètement inopportuns. Le résultat est une anesthésie générale des émotions puisque l'épate est le seul objectif. Le constat est doublement douloureux car l'univers posé recèle d'une richesse démentielle. Il y avait un boulevard pour dérouler une esthétique, des codes et une ribambelle de personnages charismatiques. Tout cela est engourdi, résumé à des couleurs ternes et des personnages mono-expressifs. En premier lieu son héros (Paul) que le charmant Timothée Chalamet n'arrive pratiquement jamais à éveiller. Josh Brolin ou Jason Momoa n'ont pas grand chose à faire. Quant à Zendaya, Denis Villeneuve s'entête à la filmer comme l'égérie d'une publicité Hermès, c'est consternant. Il faut compter avec le talent de Oscar Isaac et Rebecca Ferguson pour faire passer la pilule. Pour terminer, Hans Zimmer est très loin des expérimentations majestueuses d'un Interstellar, je serai bien incapable de me rappeler le thème principal. Un comble pour une œuvre vendue comme la nouvelle grande franchise en devenir (?). Si tant est qu'une deuxième partie arrive, il est à espérer que son capitaine de bord se mette en retrait. Non, Dune n'est jamais ennuyeux, il y a parfois de très belles images, la proposition d'une architecture géométrique épurée excite l'imaginaire, puis il est fort probable que les nombreuses thématiques du livre soient bien là. Oui, le propos est ambitieux, en cela qu'il condense marottes bibliques, références historiques, discours écologique, politique et bataille homérique. On en retrouve des traces un peu partout, indéniablement. Encore une fois traitées superficiellement, de manière rébarbative (ces visions, mon dieu) et atone.
J'ai abordé cette nouvelle adaptation comme la promesse d'un nouvel horizon pour le blockbuster, limité à une vision de l'usinage où on remplit des lignes comptables pour occuper du temps de cerveau disponible. Je ne lui reprocherai pas un manque de personnalité car il en a. Ce qui est absent ? Le souffle, l'ampleur et le panache. Trois choses indispensables à quiconque veut faire chavirer les cœurs, et on ne les obtient pas en écrasant les belles promesses sous le poids d'une complaisance à se regarder filmer. Un univers qui foisonne, il faut le laisser vivre sous peine de le réduire au rôle de boulons dans une mécanique trop lisse. Une grosse déception, incontestablement. Ce n'est pas faute d'avoir voulu y croire, mais c'est à se demander si Denis Villeneuve y croit lui-même.