Passé la première vision où l'on bande du fantasme de voir une fight entre Batman et Bane, The Dark Knight Rises est très décevant. Une conclusion hâtive et bâclée, indigne des deux autres épisodes mémorables de la trilogie de Nolan.
Je veux bien comprendre les problèmes causés par la mort prématurée de Heath Ledger. Dès la fin de The Dark Knight, Nolan a repris son scénar' pour se dépêtrer avec son Double-Face. Il aurait dû rester dans TDKR, d'abord pensé comme tournant autour du procès du Joker. Un fantasme absolu, qui aurait pu être tellement plus cohérent avec l'esprit de son réalisateur, centré sur ses personnages et les histoires de manipulations, de mental, etc. Faute d'Heath Ledger, Nolan a sorti de son chapeau le bad-guy le plus maltraité par Schumacher, sans qu'il n'arrive encore à l'exploiter pleinement ni à le rendre cohérent.
Terroriste à tendance marxiste? Nihiliste charismatique façon Joker? Pur bovin qui règle ses problèmes à coups de brisement de nuques? Bane est devenu un peu de tout ça, tout en perdant sa carrure monstrueuse des comics, par volonté de réalisme. Tom Hardy est très convaincant dans ce rôle, et la gueule de son perso est franchement réussie. Pourtant, Bane devient le symbole même de l'échec scénaristique de TDKR. Nolan a le cul entre 3 chaises. Il ne sait pas s'il veut refaire un Joker manipulateur et diablement intelligent qui sème le chaos avec des paroles et quelques balles, un Ras'Al'Ghul sous amphét' qui veut tout casser à coup d'armes de destruction massives, ou une espèce de métaphore malsaine et pas franchement pertinente d'une révolution rouge qui aboutirait forcément à un régime de terreur. Bilan: son Bane est un pot-pourri d'influences qui manque franchement de personnalité.
Mais quelles qu'aient été les difficultés de la production dues aux imprévus, je me console en me disant qu'Heath Ledger a peut-être échappé à un rôle dans un navet inévitable. En effet, TDKR est un naufrage à tous les échelons. J'ai beau avoir été longtemps condescendant, il m'est impossible de passer sous silence les trop nombreuses incohérences narratives, la vacuité du scénario, les lacunes de mise en scène, de réalisation et d'esthétique.
Pourquoi absolument TOUS les policiers de Gotham partent dans les tunnels pour déloger l'armée de Bane? Comment Bane a pu deviner que TOUS les flics tomberaient dans le panneau et se feraient enfermer? Pourquoi le SWAT débarque dans un bar pour récupérer un député alcoolisé? Comment l'agent Blake retrouve aussi facilement le commissaire dans les égouts? Tout cela n'est qu'un aperçu, qui montre démontre que le manque d'un vrai scénariste se fait cruellement sentir.
Ensuite, vient le manque d'implication du réalisateur, qui s'est contenté de déléguer ses séquences à une seconde, une troisième, pourquoi pas une quatrième équipe, puis à assembler le tout en espérant qu'il n'y ait pas trop de faux raccords et de paradoxes temporels.
Erreur les cravatés, puisque si Nolan n'a certes jamais brillé par ses talents de metteur en scène, TDKR est de loin son pire échec dont la mort ratée de Cotillard est le plus parfait exemple. Faux raccords énormes, montage à la serpe, mise en scène anémique ponctuent ce navrant spectacle. C'est terrifiant qu'un film aussi cher ait pu laisser passer un truc aussi gros et nanardesque qu'un faux raccord jour/nuit! La bataille finale est très représentative: pourquoi l'armée de flics charge en rangs serrés contre des terroristes armés de kalashnikov? Pourquoi le feu nourri de ces derniers touche à peine trois types à 50m? Pourquoi la fight finale Batman/Bane se déroule au milieu de cette bataille absurde et chaotique au corps-à-corps, où les figurants peinent à simuler leurs molles paires de claques échangées dans le vide? La scène de l'attentat à Wall Street est tout aussi foireuse. Pourquoi les terroristes y amènent des Uzi si c'est pour buter à peine deux types? Pourquoi tirent ils en l'air plutôt que de tirer dans le tas? Les cravatés de la production trouvaient ça sans doute trop trash et subversif! En même temps, à 250 patates le film il ne faut surtout prendre aucun risque et viser le familial, à ce propos je vous met au défi de repérer les trois gouttes de sang qui giclent de tout le film.
Bref, les scènes d'action n'ont jamais été le fort de Nolan mais là c'est le pompon. Vu le budget, il aurait pu se payer un chorégraphe, plutôt que de laisser Christian Bale et Tom Hardy se foutre des mae-geri mollassons et filmés n'importe comment. Résultat, le premier gros combat, où Bane brise le dos de la Chauve-souris, est indigne de cette même scène au rendu autrement plus intense et mythique dans le comic Knightfall.
Le scénario n'a plus rien à voir avec les multiples intrigues parallèlesqui s'entremêlaient avec virtuosité dans The Dark Knight. Il oscille maintenant entre grandes facilités et blabla inutile, au service d'un enjeu monolithique.
Facilités, quand il tire les grosses ficelles usées du terrorisme nucléaire ou du trauma post-11 septembre ( ce dernier étant bien mieux traité pourtant dans l'opus précédent). Facilités encore quand la scène de la prison souterraine sonne comme une redite pas nécessaire de Batman Begins. Facilité ultime, quand le final s'expédie dans une course à la bombe à retardement, tarte à la crême déjà vue 46 milliards de fois donc évidemment décevante, sans parler du happy-end moisi.
Blabla, quand Catwoman change de camp une bonne demi-douzaine de fois sans explications. Quand la menace de Bane sur Gotham s'entoure d'un message réac' et sécuritaire, là où TDK était une critique acerbe du Patriot Act. Blabla encore, quand arrive cette révolution voulue par Bane, pantalonnade dont la seule utilité est d'exciter les pseudos-intellectuels et de foutre une quenelle assez lâche au marxisme-léninisme. Blabla surtout, quand le scénario se perd à vouloir expliquer l'origine de Bane et de l'affubler d'une histoire d'amour idiote, poussant la volonté de réalisme jusqu'à l'absurde et à l'anti-spectaculaire.
Tout ça parce que Nolan a préféré se débrouiller sans son précédent scénariste David Goyer! Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé...
Le film n'est même pas beau. Gotham n'a jamais été aussi ennuyeuse. Les beaux clair-obscur des opus précédents ont fait place à une photographie tout à fait quelconque. Trois plans autour de Blackgate histoire de dire, mais à part ça, l'ambiance à la Blade Runner de Batman Begins est bien loin. Le garage de Batman s'agrandit d'un autre véhicule, une brique volante particulièrement laide et informe. Ils avaient pas non plus de designers prévus dans les 250 millions de budget? Quand aux scènes "normales", elles sont aussi décevantes, à l'instar de ce dialogue clé entre Bruce et Alfred, interminable champ/contre-champ sur fond d'arrière-plan bâclé, juste digne d'un téléfilm. Hans Zimmer lui-même ne s'est pas foulé, il colle son thème répétitif du bad-guy un peu partout faute d'une mise en scène correcte qui suffirait à élever le truc.
Alors je ne jette pas tout bien sur. Tom Hardy relève le niveau avec son lot de punchlines bien senties, de même que les apparitions de Gordon-Lewitt, Gary Oldman ou mon préféré, Morgan Freeman. Les scènes d'attentat dans l'avion ou dans le stade, parfois filmées en IMax sont assez impressionnantes, mais le soufflé retombe vite. TDKR a voulu prendre un tournant épique, par son bad-guy coriace et ses scènes ambitieuses, mais il ne tient pas la route, faute de rigueur et d'audace. Il devient même assez prétentieux, à se vouloir contemplatif "trop dark" alors qu'il pêche sur tous les points. Son message est assez nauséabond, entre une critique raz des paquerêttes de l'anarchisme et une moquerie de l'utopisme écologique. Il m'est évident que je préfère revoir un Avengers con comme la lune mais fun, plutôt que Dark Knight Rises qui se prend pour ce qu'il n'est pas. Nolan était décevant dans Inception, là il est carrément absent de son projet, complètement à l'ouest. Il a intérêt à ce que son prochain Interstellar troue le cul sinon je jette l'éponge.
La minute d'humour: TDKR aura aussi montré que Le Cercle de canal+ est capable de débattre sur un film pendant 10mn sans parler une seule fois ni de mise en scène, ni de photographie, ni de jeu d'acteur, ni de quoi que ce soit de cinéma... ça n'a pas de prix!