De nombreuses critiques existent déjà sur Alice au pays des merveilles, le dernier Tim Burton, de bonnes critiques… et de moins bonnes. Je ne vais pas pondre un énième article fustigeant Tim Burton pour avoir fait du Tim Burton: de nombreux l’ont déjà fait, en particulier ici, mais personnellement, je n’ai pas été dérangée par ce point (au contraire). Si vous aussi vous vous demandiez pourquoi vous n’aviez pas été transcendés par la 3D utilisée dans Alice alors qu’elle vous avait ravi les pupilles dans Avatar, cet article explique tout sur la différence entre les deux techniques.
J’aspirais à vous offrir une analyse philosophico-psychologique du film mais je me suis rendu compte qu’en réalité, il y avait très peu à dire. Déception sur ce point. N’ayant jamais lu le roman de Lewis Caroll, ni sa suite De l’autre côté du miroir (dont le film s’est également inspiré, d’après certaines de mes lectures), j’espérais enfin contempler la richesse des délires Burtoniens et en outre inspirés de Caroll – mais je me suis retrouvée devant un presque-nanar Hollywoodien. La béotienne que je suis va tenter une simple analyse des thèmes et symboles récurrents du film – c’est à peu près tout ce que j’ai pu en tirer, c’est dire la profondeur de l’œuvre.
Cela dit, je me dois de remercier Tim Burton sur un point: je détestais le dessin animé de Walt Disney que je trouvais effrayant et inhumain; et le réalisateur a su redonner à ses personnages une certaine dimension humaine. J’ai donc, en un sens, été réconciliée avec Alice, et il se pourrait bien que je lise le roman et ses suites.
*** Attention: certains éléments de l’intrigue sont révélés dans le reste de ce billet ***
Prends ta destinée en main
Cette devise est sans aucun doute le fil directeur de l’intrigue. Dès le premier quart d’heure, l’on découvre une héroïne définie non par ses choix mais par ceux de son entourage ; une jeune fille frêle et rêveuse qui subit la pression familiale. Elle n’ose se prononcer, fuit devant le conflit, et se fait imposer des fiançailles forcées avec un homme visiblement insupportablement terre-à-terre (et moche). Sa belle-mère en particulier est comparée à la Reine Rouge lors de leur conversation dans le jardin de roses blanches : la femme préfère les roses rouges et peindrait les roses blanches si elle en avait l’occasion, tout comme la Reine Rouge dans le conte original de Lewis Caroll. Ainsi, ces deux personnages sont des dictateurs, façonnant le monde à leur image et modifiant ce qui ne leur convient pas – y compris
Alice, qui se voit reprocher sa nature trop rêveuse.
Lorsqu’elle arrive au pays des merveilles, c’est la même chose : la jeune fille obéit lorsqu’elle reçoit des ordres, même de la part d’objets (« bois-moi », « mange-moi ») et finit par affirmer qu’elle n’est pas la « vraie » Alice, parce que les autres personnages l’ont constaté, et qu’elle les croit – bien qu’elle ne comprenne pas pourquoi. En effet, elle s’insurge « Mais pourtant, c’est mon rêve ! C’est moi qui devrais décider de cela », ce que l’on pourrait également traduire par « C’est ma vie, c’est à moi de décider qui je suis ».
Elle en oublie même jusque son propre nom : hésitante devant la Reine Rouge, elle finit par se faire appeler « Hum », sur un quiproquo certes, mais un fait bien symbolique. D’autre part, elle ne cesse de changer de taille, s’adaptant une fois de plus aux circonstances et choisissant la voie de la facilité : intimée d’être plus adulte (sois plus terre-à-terre, marie-toi, etc.), elle grandit ; mais infantilisée par un entourage qui décide à sa place, elle rapetisse également.
C’est d’ailleurs à partir du moment où elle reprend sa taille normale et affirme « mon nom est Alice ! » qu’elle reprend le contrôle de son identité, et seulement à partir de ce moment-là est-elle en accord avec elle-même. Ce moment coïncide avec la transformation du personnage de la chenille bleue qui s’enferme dans une chrysalide : ainsi, elle n’est que le reflet d’Alice qui elle-même a commencé une métamorphose – devenir elle-même, peut-être également un passage de l’enfance à l’âge adulte, mais surtout, décider de sa propre destinée, jusqu’au jour où elle se « transforme en papillon » (dernière image du film).
Raison, folie, rêve et réalité
Comment croiser Burton et Caroll sans aborder ces thèmes ? C’est en particulier ici que l’on attendait le réalisateur au tournant, Tim Burton maîtrisant à la perfection les univers décalés et oniriques. Bien que déçue par le peu de profondeur accordée à ces sujets, j’ai tout de même repéré quelques éléments allant dans ce sens.
Raison, folie, rêve et réalité s’entremêlent et se fondent joyeusement. Dès les premières minutes du film, le ton est donné : un petit grain de folie ne peut pas faire de mal ; en fait, c’est un signe de bonté. Ou d’intelligence. On ne sait pas trop. En tout cas, les meilleures personnes l’ont – whatever that means. Niaiserie mise à part, le personnage du chapelier fou est bien géré (même si le jeu de Johnny Depp ne l’est pas, ersatz de rôles précédents) pour nous prouver qu’un peu de folie est parfois bien sympathique.
Quant à l’aventure entière, l’on ignore s’il s’agit d’un rêve ou de la réalité – Alice l’ignore elle-même jusqu’à ce qu’elle réalise qu’elle ne rêve pas, et qu’elle est déjà venue au Pays des Merveilles une première fois. J’aurais préféré que l’ambigüité demeure sur ce point.
Amour et crainte
Si raison et folie ne sont pas abordées de manière manichéenne, j’ai bien du mal à me décider sur le reste qui semble malheureusement trop souvent l’être. Dans mes souvenirs, les personnages étaient ambigus, souvent méchants, critiques ou menaçants et Alice était une victime, menée où le vent et les évènements la traînaient. A la fin, elle finissait par fuir la Reine Rouge qui s’en sortait fort bien. Dans le film, le chapelier fou est fort touchant, tout comme le Cheshire Cat (mon personnage préféré du film, sans appel) et les vilains sont bêtes et méchants. Seule, la Reine Rouge semble avoir un cœur, des sentiments, des doutes. Et encore.
Une des problématiques récurrentes de ce personnage semble être celle-ci : Vaut-il mieux régner par l’amour ou par la crainte ? Narcissique, mégalomane, voire même (complètement) psychopathe, la Reine Rouge modèle le monde qui l’entoure à son image, et se reflète dans le regard et l’admiration des autres. Sa grosse tête est le symbole évident d’un égocentrisme qui semble-t-il n’a pas de limites. Sa cour entière s’adapte en se greffant des faux nez, oreilles, mentons, ventre de grosse taille afin de lui ressembler. Lorsque les masques tombent, elle se sent trahie, seule, et c’est là que s’entame sa déchéance.
Comme prévu, le film entier s’efforce de nous démontrer que l’amour triomphe toujours (Walt Disney et américain, ne l’oublions pas). Bayard le chien trahit la Reine en dépit de sa crainte, ainsi que tous ses autres sujets par la suite. La véritable reine reprend sa place – blanche, pure, non souillée, sans passion et complètement fade, mais elle est gentille et aime tout le monde. Bref. Passons.
En conclusion, j’ai apprécié le film (je sais, on ne dirait pas) en tant que divertissement et beaucoup aimé le caractère burtonesque des paysages et des costumes (les robes d’Alice!!!). Cela dit, je l’ai trouvé creux et trop politiquement correct (n’en déplaise à Tim Burton qui affirme l’inverse au Figaro). Si vous voulez un conte de fées imprégné de problématiques réelles, allez plutôt voir Le Labyrinthe de Pan.