Parce qu’il dispense une grande tendresse à l’égard de son personnage principal et de la relation entretenue avec Sparky, Tim Burton ressuscite sa poésie macabre à grand renfort d’une animation traditionnelle tout à fait remarquable : le choix du noir et blanc coïncide avec l’ambition d’inscrire son film dans la filiation des œuvres de la Hammer et des séries B horrifiques qui peuplèrent jadis l’enfance du cinéaste. Et de l’enfance, Burton propose une lecture assez subtile : temps où rien n’est impossible, temps de l’émerveillement et de la découverte de soi, l’enfance s’érige en laboratoire dans lequel s’expérimentent toutes sortes de remèdes au désarroi ambiant. La petite ville adoptée en guise de cadre regorge de ce mal-être que Burton associe au monde adulte : à l’instar de la chanson déclamée lors de l’anniversaire de sa fondation, New Holland porte curieusement dans son nom l’idée de renaissance, de restauration d’une rigueur qui semble hanter la vie quotidienne à la manière d’un spectre indéfinissable. Les rues sont propres, les maisons identiques – on retrouve ce climat embourgeoisé et oppressant cher à Edward aux mains d’argent –, les passants rares. La cellule familiale ne renvoie, de prime abord, qu’une collection de rôles à jouer, et la télévision, support que tente d’investir le jeune garçon en y diffusant ses créations, aveugle des parents lassés de leur routine. Dans cette même télévision, d’ailleurs, court Sparky sur un tapis roulant derrière lequel défile un paysage fait de papier : le bricolage cède peu à peu le pas à la technique, à mesure que Victor se perfectionne, repousse les limites du réalisable, transgresse les lois de la physique et de la morale. Ce faisant, il reproduit l’entreprise burtonienne dont l’objectif est de galvaniser l’imagination adolescente – rappelons que Frankenweenie est, à l’origine, un court-métrage de 1984 – avec plus de moyens. Car l’entièreté du film est animée par un courant salvateur, une électricité qui vient vivifier ce qui paraissait mort. Et pourtant, on ne peut s’empêcher d’éprouver une légère frustration : on ne sait pas vraiment si le Sparky que nous avons sous les yeux est le chien enfermé dans la télévision ou, au contraire, le chien ressuscité. Car tout fonctionne sous cloche, dans une trajectoire scénaristique qui refuse la moindre sinuosité. Le happy end confirme la mainmise de Disney sur la création de Burton, quoique cette scène émeuve profondément. Le souci de Frankenweenie, c’est qu’il transforme les marginaux en attractions d’un parc à thèmes, comme si le cinéaste reniait en partie ses premières inspirations pour plaider la cause de la souris milliardaire. Quand on regarde Frankenweenie, on se dit qu’un artiste qui éprouve un tel besoin d’électriser son imagination risque, dans les films à venir, de court-circuiter son génie, de tomber dans la parodie de soi-même. Demeure pourtant une mécanique très bien huilée où l’émotion atteint des sommets à faire frissonner un cadavre, notamment aidée par la partition de Danny Elfman, tout bonnement admirable.