Après avoir insufflé une perspective contrastée de Nice en proie à l’euphorie éphémère, Jean Vigo se jette à l’eau aux côtés du champion de nage libre Jean Taris. Si le sportif a su briller sur la scène nationale et internationale, c’est pourtant sur les images du cinéaste qu’il trouvera un éternel refuge dans un bassin qui lui appartient. S’il nous explique de vive voix en quoi le développement de la nage alternée a fait son succès, l’outil pédagogique de ce documentaire marque un certain tournant dans l’exploitation du cinéma parlant. Il s’agit d’une histoire technique, mais qui ne sombrera pas dans l’anecdote, du moins pour cet aspect immersif, qui a gagné la pellicule d’un Vigo de plus en plus inspiré.
Au détour de la maniaquerie du cinéaste à vouloir dompter le nouvel équipement sonore, il ne se laisse pas pour autant impressionner et continue d’étudier de nouveaux angles d’approche. Le cadre doit servir le mouvement et celui de Taris convient parfaitement à l’exercice. De même, le discours du champion s’adapte parfaitement à sa transition, car « on n’apprend pas à nager en chambre », dit-il. Il faut se mettre à l’eau et c’est avec une grande efficacité et une grâce des plus précieuses que l’on obtient un support ludique. Hélas, nous connaissons rapidement les limites d’une telle œuvre, destinée à rentrer dans un moule qui heurte la sensibilité et qui bride la créativité de Vigo. Etat repris au montage, il serait possible de comprendre une frustration, qui le motive à parsemer un peu d’originalité, jusqu’à travailler la texture « liquide » de son image. Si le titre met bien en avant le statut du champion, le film est loin de mettre en valeur l’homme que l’on décrit.
Dans l’eau, Taris et Vigo s’amusent, mais cette affaire concernera très peu le spectateur. S’il est question du nageur, son bassin n’est pas assez grand pour qu’on s’y laisse flotter, et s’il est question de la nature de l’eau, elle manquera de nous éclabousser au passage des artistes. Les gros plans fascinent et hypnotisent, tout comme la marche arrière, mais sans la puissance d’un sprint olympique. Face à ce dilemme, il ne reste qu’à se placer à mi-parcours des deux sujets. La proximité fera ainsi honneur aux mouvements de brasse et de crawl, couplés à une respiration contrôlée. La symbiose entre le corps de Taris et l’environnement aquatique transmet déjà bien plus à l’observation qu’à l’explication. La tonalité des répliques correspond évidemment à une limite supplémentaire qui entrave le grand plongeon. Le discours est tout aussi mécanique que la pédagogie rigide qui nous est simplement illustré.
Ce qui constituait de toute évidence un projet lancé par la nouvelle directrice de production chez Gaumont-Franco-Film-Aubert, Germaine Dulac, précédemment réalisatrice et future directrice adjointe du service des actualités des studios, démontre toutefois que le son brut a sa place à l’écran. Cela témoigne d’une transition parfois douloureuse pour le travail de création qui doit être repensé et reformuler pour le public cible. Et malgré le fait que les défauts de « Taris, Roi de l’Eau » (La Natation par Jean Taris) soient si apparents, Vigo continue d’affubler ses armes avant de renouer avec le cinéma social qui l’intéressait fortement.